Page:Grave - Le Mouvement libertaire sous la IIIe République.djvu/206

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Mais celui qui donna de l’importance et de la vie au mouvement individualiste ce fut Libertad. Qui était-il ? D’où venait-il ? On ne sait.

Il surgit tout à coup dans le mouvement, se faisant remarquer par son zèle. Allant à toutes les réunions, y prenant la parole, faisant partie de toutes les manifestations, se colletant assez souvent avec les agents.

C’était un béquilleux, infirme des deux jambes. Habillé de la blouse noire des typographes, — il l’était, à temps perdu, je suppose — coiffé de ses longs cheveux noirs, il se donnait les allures d’un Christ. Et, ce qui rendait la comparaison plus frappante, il était toujours suivi d’un troupeau de femmes, que je ne me hasarderai pas à qualifier de saintes.

Il vivait, m’a-t-on dit, avec les deux sœurs, ayant un enfant de l’une d’elles. Le plus pitoyable, c’est que si l’homme était détraqué — ou jouait à l’être — les femmes ne l’étaient pas. Fort intelligentes au contraire. Mais, lorsqu’il s’agit de sexualité, les plus intelligentes peuvent agir le plus stupidement.

Ce qui est certain, c’est qu’il représentait un cas pathologique d’éréthisme sexuel aigu. Méreaux me raconta que, avant que l’on eût appris à le jauger, on lui avait demandé de venir faire une conférence aux « Soirées de Montreuil ». Il y parla sur la vie des chemineaux. Toute la soirée, à tout propos et hors de propos, ce ne furent que des allusions aux parties sexuelles et à l’acte génésique.

Il m’a été raconté d’autre part que, étant allé donner une conférence dans une autre partie de la banlieue, assez éloignée de Paris, un camarade, la soirée ayant fini tard, lui offrit l’hospitalité pour la nuit. Le matin, au réveil, la femme du camarade frappe à la porte de Libertad pour lui donner son déjeuner, — N’entrez pas, cria ce dernier, je ne suis pas présentable. Et, s’étant mis nu comme un ver, debout sur son lit : « Vous pouvez entrer ! » cria-t-il.

J’ignore s’il fut mis à la porte avec tous les honneurs qui lui étaient dus, mais il faut avouer que les types de son espèce ont eu, parmi nous, et par trop souvent, affaire à des camarades par trop bénévoles.