Page:Grave - Le Mouvement libertaire sous la IIIe République.djvu/211

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provenance et fis réponse à l’épistolier de s’adresser au Libertaire qui était plus hospitalier que moi.

Un jour m’arriva un grand escogriffe, solide comme le Pont Neuf, bien bâti. Il venait de Colombie, se disait anarchiste-individualiste. Nous eûmes une longue discussion où il émit les mêmes âneries que ses co-religionnaires français. Il finit par s’en aller.

Une ou deux semaines plus tard, m’arrivait une femme en un état de grossesse très avancée. Elle m’était amenée par le logeur chez qui elle avait échoué, et qui comprenait quelque peu l’espagnol. C’était la compagne du Colombien, qu’il avait plaquée là-bas. Elle s’était lancée à sa poursuite.

Où était son mari ? Je n’osai lui dire que je venais de recevoir une lettre de lui datée du Dépôt, où il me demandait de lui trouver un avocat, me donnant à entendre qu’il avait été arrêté pour avoir fait de la propagande.

Je fis conduire la femme à la Maternité. Elle me laissa sa valise qui était bien légère. Pour son type, j’écrivis à Ajalbert pour lui « recommander » cette « victime de la propagande ». Ajalbert me répondit qu’il était allé voir mon « martyr », mais il me conseillait de ne pas trop m’apitoyer. Cette malheureuse victime des idées n’était qu’un vulgaire filou.

Nous échangeâmes quelques lettres, le personnage et moi. Je lui parlai de la visite de sa femme. Il me répondit qu’il avait bien le droit de la plaquer s’il en avait assez. Que son « Moi » ne pouvait plus la supporter. Pourquoi serait-il condamné à la supporter plus longtemps ?

Après sa délivrance, la femme revint chercher sa valise, me laissant une lettre d’engueulade de son « super-homme ».

Quelques jours plus tard, en allant à la poste, je vis mon Colombien et ma Colombienne assis sur un banc de l’avenue des Gobelins. Lui était en train de griffonner quelque chose. Je passai sans qu’ils m’aient vu.