Page:Grave - Le Mouvement libertaire sous la IIIe République.djvu/221

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Un jour parut dans le mouvement un nommé Armand qui, tolstoïen, venait de passer à l’anarchie… en emportant la caisse de son groupe, apprîmes-nous plus tard.

C’était un bonhomme aux manières insinuantes, dont la main gluante fondait dans la vôtre, lorsqu’il vous la donnait à serrer.

Comme de juste, il ne tarda pas à prêcher l’individualisme, le cambriolage : la reprise individuelle, comme ils appelaient ça. Il fut un des rédacteurs les plus assidus du journal de Libertad, L’Anarchie. Il y développa ces théories en y ajoutant que, « si c’est de votre intérêt d’être policier, vous avez parfaitement le droit d’être mouchard », — vous êtes orfèvre, M. Josse ! — et cela sans émouvoir en rien les lecteurs de L’Anarchie qui, du reste, en avalaient bien d’autres.

Plus tard, Libertad étant mort, Armand dirigea le journal. Là, des cambrioleurs, des faux monnayeurs préparaient leurs « petites combines », se partageaient le produit de leurs opérations. Cela au vu et au su de la police : car, souvent, on lisait dans les quotidiens : « Hier, on a arrêté une bande de cambrioleurs dont les membres étaient des habitués du journal L’Anarchie ». Ou bien, pour varier : « La police vient de mettre la main sur une bande de faux monnayeurs qui avaient pour habitude de se rencontrer dans les locaux du journal L’Anarchie ». Et ainsi de suite, Armand — pas plus du reste que ceux qui le précédèrent ou lui succédèrent à ce journal — ne fut jamais très inquiété.

Un jour, un des rédacteurs habituels de L’Anarchie m’envoya un article où il relevait les palinodies qu’Armand avait écrites dans ce journal. L’auteur avait eu soin de changer sa signature habituelle, mais je n’eus aucune difficulté à deviner d’où ça venait. C’était de N’importequi.

Je trouvai amusant de mettre mes deux escogriffes aux prises. Nimportequi ne faisant qu’avancer ce que je pensais moi-même, j’insérai l’article. Qui vis-je arriver la semaine suivante, rue Broca ? Mon Armand, accompagné d’une quinzaine de types de son espèce, parmi lesquels Kibaltchiche et la fameuse Rirette, qui fut mêlée à la bande Bonnot.

Ce fut Armand qui prit la parole :