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EN RACONTANT

officiers et matelots s’étaient embrassés en pleurant. Hélas ! bien peu devaient se revoir.

« En partant, M. de Freneuse avait subdivisé ses gens en deux sections : treize d’entre eux manœuvraient le petit canot et vingt-sept s’embarquèrent dans la chaloupe. Jusqu’au 2 décembre, cette navigation de conserve fut affreuse ; à peine gagnait-on chaque jour deux ou trois lieues qu’il fallait faire à la rame, et par un froid intense. Le soir, on dormait sur la neige, et pour toute nourriture ces pauvres abandonnés n’avaient qu’un peu de morue sèche et quelques gouttes de colle de farine détrempée dans de l’eau de neige.

« Le 2 décembre, le temps s’était mis au beau ; une petite brise soufflait sans âpreté, et la joie renaissait sur ces figures hâves et décharnées, lorsqu’en voulant doubler la pointe sud-ouest, la chaloupe qui allait à la voile fit la rencontre d’une houle affreuse, et en manœuvrant pour lui échapper, perdit le canot de vue. Plus tard, on sut ce qu’il était devenu ; il s’était laissé affaler ; mais comme pour le quart d’heure il fallait faire terre au plus vite, on finit par y parvenir à deux lieues de là, au milieu de mille précautions. Un grand feu fut allumé sur la côte pour indiquer aux retardataires où se trouvaient les gens de M. de Freneuse, puis après avoir mangé un peu de colle, ils s’endormirent dans l’eau et dans la neige fondante pour n’être