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DANS LE BAS DU FLEUVE

Un an venait de s’écouler depuis ces événements, lorsqu’un jour une femme, habillée de deuil, se présenta à mon bureau. Je reconnus madame Gitony ; mais, cette fois, elle était veuve. Elle me dit qu’après leur retour au Labrador, son mari et elle s’étaient avancés jusqu’au sein de la forêt avec des provisions, dans le but de chasser durant l’hiver. Ils avaient avec eux deux chiens attelés à un cométique ou traîneau pour transporter leur équipement. Mais, à peine avaient-ils atteint leur destination, que son mari fut frappé de paralysie, et mourut dans ses bras. Peut-on se représenter une position plus horrible ? Seule dans la forêt, à cent milles de son habitation, avec le cadavre de son mari !

Elle faillit en perdre la raison ; mais, reprenant tout son courage, elle enveloppa le cadavre, qu’elle ficela sur le traîneau, et arriva ainsi à travers les bois, après une marche des plus pénibles, à une cabane de pêcheur où elle enterra son mari ; puis elle monta à Québec avec l’intention de ne plus jamais retourner au Labrador. Enfin, il n’y a pas bien longtemps j’étais étonné d’apprendre que, quoique maintenant âgée d’au-delà de quarante ans, elle avait épousé un autre pêcheur, et repris sur ces côtes arides, le genre de vie qu’elle redoutait tant autrefois, et qu’aujourd’hui elle préfère évidemment à tout autre.

Il est des personnes qui deviennent tellement