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LES PÊCHEURS DU LABRADOR

un lieu habitable avec une famille comme celle que vous avez, surtout avec autant de filles. Quel avenir y a-t-il pour elles ici ? Voulez-vous les voir mariées à des hommes aussi pauvres que vous, et recommencer une vie de souffrances et de privations, telle que celle que vous menez maintenant… ?

Je comptais sans l’indomptable énergie de cet homme.

« À Dieu ne plaise, répondit-il ; il n’y a pas de sacrifices que je ne sois disposé à faire pour améliorer le sort de mes enfants, mais je suis impropre à tout autre état que celui de pêcheur. Et je ne puis encore me décider à abandonner ce lieu où Je suis né. »

L’année dernière, ne pouvant obtenir à crédit le gréement voulu pour conduire la pêche à son compte, il s’était engagé à accorder à une autre personne qui lui ferait les avances nécessaires, le privilège de pêcher dans sa baie, lui-même et son garçon devant prendre part aux travaux et avoir droit à un tiers des profits. Il ne reçut pour sa part que quinze loups-marins, représentant une valeur de soixante piastres, ce qui ne fut pas même suffisant pour acquitter ses obligations envers ses associés. Il sala les carcasses de ces loups-marins pour nourrir ses chiens durant l’hiver, mais la nécessité les força d’en manger eux-mêmes la plus grande partie. Cette viande les rendit malades, tant elle est rance,