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EN RACONTANT

pèce. Je le trouvais ordinairement couché sur la mousse ; à mon approche, il se levait, secouait son poil hérissé et sur trois pattes, car une des quatre était toujours hors d’état de faire le service, il décrivait un cercle pour éviter ma rencontre. Quelle faute expiait-il ? c’est ce que je n’ai pu savoir.

« Trois mois auparavant, un meurtre, le meurtre d’un chien jeune et vigoureux, avait été commis en ce lieu. Qui sait ? — Eh bien ! tous les soirs, le vieux se rendait fidèlement sur une pointe de rocher qui s’avance au-dessus de la mer, et soit qu’il eût l’âme poétique, ou que le souvenir d’un crime lui rongeât le cœur, il attendait, morne et silencieux, le lever de la lune. Au moment où elle se montrait, il poussait un hurlement digne des chiens chantés par Ossian. — Le premier cri restait sans réponse ; au second, vingt voix claires relevaient l’antienne avec une énergie et une constance propres à désespérer un dormeur ordinaire.

« Les chiens du Labrador sont querelleurs pendant le jour aussi bien que durant la nuit : à peine une heure de la journée se passe-t-elle sans qu’il s’élève une contestation, à laquelle tous veulent prendre part. Chez eux, comme chez les loups, gare au plus faible ; car tous les autres se jettent sur celui qui a été renversé et le déchireraient à belles dents, si le fouet du maître n’était mis en jeu pour les séparer. À moins d’exercer une vigilance con-