Page:Grelé - Jules Barbey d’Aurevilly, L’œuvre, 1904.djvu/45

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Et Jules Barbey chante encore ses désespérances en une série de strophes qu'il a réunies sous le nom symbo- lique de La Bague dWnulbal. Une veuve, ayant fleureté longtemps avec plusieurs jeunes hommes et ayant inspiré presque de la passion à l'un d'eux, épouse finale- ment par dignité, par besoin de se faire une situation, — ^diV respectai) il it y , si l'on veut, — un veuf sur le retour. L'occasion est superbe, pour notre éphèbe désenchanté, de dire le néant de l'amour, à propos de cette his- toire vraie, et de persifler la seule raison qu'il y ait de tenir à l'existence. « Dans toutes les coupes de la vie où il avait plongé ses lèvres, — s'écrie-t-il en parlant de lui- même, — il avait bu une absinthe amère qui, sur ses lèvres, se retrouvait toujours. Une éternelle ironie dictait ses paroles, ironie si profonde que, dans la mollesse de sa voix et la courtoisie de son langage, rien n'en trahis- sait le secret... Pourtant les autres sentaient une insul- tante puissance qui se jouait d'eux à travei's ces paroles gracieuses » (1). Puis il explique ainsi le titre énigmatique qu'il a mis à sa nouvelle. « La bague d'Annibal avait une pierre, et, sous cette pierre, il y avait une goutte de poison. C'est avec cette goutte de poison que se tua Annibal. Eh bien! il y a des bagues sans pierres qui renferment un poison plus subtil que celui d'Annibal, car c'est un poison invisible. Seulement ce poison-là ne tue pas les grands hommes, mais une petite chose : il tue l'amour » (2). Voilà la conclusion du romantisme poussé à son dernier degré de morbidesse : la faillite de Tamour et de la passion.

(1) La Bague d'Annibal (éd. Lemerre), jt. 234.

(2) Ibicl., p. 325.