Page:Grenier - Souvenirs littéraires, 1894.djvu/26

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et de justesse, et la foule l’acclamait et s’en retournait contente et calmée. Il y a ici-bas peu de spectacle aussi grand, aussi rare, que de voir ainsi l’éloquence du génie unie à l’héroïsme du caractère, et je remercie le ciel de m’avoir permis de le contempler.

Je me rappelle surtout la journée du 17 mars, quand le parti populaire donna la réplique à la manifestation de la veille, dite des « bonnets à poil ». Plus de cent mille ouvriers défilèrent devant le Gouvernement provisoire. Les chefs de clubs avaient pris la tête et porté la parole, en essayant d’intimider le Gouvernement ou du moins de le diviser, faussant ainsi les intentions du peuple, qui venait au contraire apporter son adhésion et affirmer sa confiance dans le Gouvernement, en le remerciant de sa résistance de la veille aux demandes de la bourgeoisie.

Quand l’immense procession eut fini de s’écouler, les membres du Gouvernement restés seuls dans la grande salle s’interrogèrent, avec une anxiété bien naturelle, sur le sens véritable et les conséquences possibles de cette journée confuse. De temps en temps des ouvriers rentraient un à un, en demandant avec indignation s’il était vrai que les porte-parole eussent menacé le Gouvernement, et affirmaient avec chaleur que le peuple était venu au contraire pour l’appuyer et l’encourager.