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Page:Grenier - Souvenirs littéraires, 1894.djvu/29

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la fortune des siens compromise par le désordre de ses affaires, il s’était mis à la tâche, et avait attelé son génie à un travail surhumain. Il habitait alors rue Ville-l’Évêque le rez-de-chaussée d’une maison occupée à présent par une des annexes du ministère de l’intérieur. On franchissait la cour et l’on entrait dans un salon oblong assez étroit. Là, tous les soirs, on était sûr de trouver M. de Lamartine jusqu’à dix heures, se reposant de son travail du jour dans la causerie de quelques amis fidèles ou d’étrangers de distinction qui ne voulaient pas traverser Paris sans le voir. Il publiait alors ses Entretiens littéraires, où il a enfoui tant de pages merveilleuses et trop oubliées. Il se faisait réveiller à cinq heures en toute saison, prenait une tasse de thé, et se mettait à l’ouvrage jusqu’à midi sans désemparer. La table de sa petite chambre et même le parquet se jonchaient bientôt de feuilles couvertes de son élégante et rapide écriture : jamais de rature. Ce qu’il produisait ainsi dans ces six ou sept heures matinales tient du prodige. Il improvisait la plume à la main avec la même facilité qu’à la tribune, et Dieu me pardonne si j’ajoute que le poète lui-même jouissait du même don. J’ai vu le carnet où chaque matin, en se promenant dans les bois de Saint-Point, il écrivit au crayon son poème de Jocelyn. Tout est du premier jet, pas de repentir ou de correction ; c’est la netteté