Page:Grenier - Souvenirs littéraires, 1894.djvu/30

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même, tout coule de source avec cette grâce heureuse et légère, et cette abondance magnifique qui est le caractère de son génie.

À midi, sa journée de travail était finie ; il déjeunait alors, vaquait à ses affaires, se promenait, lisait. Le soir, il ne sortait jamais, même pour aller au théâtre, qu’il adorait, disait-il. Il était d’une rare sobriété, presque végétarienne, buvait à peine de vin. Comme j’admirais un jour la constance de ses habitudes de travail matinal, et que je lui demandais s’il s’était accoutumé à ce lever de cinq heures en toute saison : « Jamais, me répondit-il ; cela me coûte autant que le premier jour. » Quelle leçon pour les paresseux !

Le soir, l’étroit salon était toujours ouvert. Mme  de Lamartine naturellement en faisait les honneurs, mais avec une discrétion qui ressemblait presque à de la timidité. Elle semblait s’effacer devant le maître de la maison, comme si elle ne portait pas aussi ce grand nom, comme si elle n’était pas la moitié de cette illustre destinée, la compagne des jours heureux et le bon génie, le bon conseil, la consolation des jours mauvais. Retirée dans un coin, d’une mise toujours simple, comme en deuil, grave, triste même, elle prenait peu de part à la conversation. Mais ses moindres paroles témoignaient de son culte pour M. de Lamartine. Le malheur et l’ingratitude des hommes n’avaient fait qu’agrandir