Page:Grenier - Souvenirs littéraires, 1894.djvu/31

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cette religion ; et pourtant à certains mots on pouvait soupçonner que la prêtresse jugeait le dieu. Elle avait souffert avec lui, et peut-être par lui. Si elle n’approuvait peut-être pas tout, elle ne blâmait jamais. Il y avait quelque chose de maternel dans son indulgence attristée et magnanime. Avait-elle été jolie ? Il eût été difficile de répondre. On ne voyait plus, à cette époque, sous des cheveux noirs, qu’une toute petite figure sillonnée de rides, si pâle, si mince, si atténuée qu’elle me faisait penser malgré moi à ces fleurs desséchées qu’on a oubliées entre les pages d’un livre. À ses côtés, les deux nièces de Lamartine, Mme de Pierreclos et Mlle Valentine de Cessia, la suppléaient comme maîtresse de maison avec toute la grâce de la jeunesse. Mme de Pierreclos, vive, spirituelle, exubérante, avait quelque chose de l’abondance géniale de la race ; Mlle Valentine, plus jeune, grande, élancée, pleine de grâce et d’amabilité, offrait le type achevé de la distinction aristocratique. Quant au maître de la maison, s’il n’était pas accaparé par un de ses admirateurs et surtout une de ses admiratrices, il causait peu ordinairement. Assis sur le canapé entre ses deux levrettes, il semblait à peine suivre la conversation et s’y intéresser. Souvent aussi il se promenait dans la longueur du salon, évitant le petit lustre qu’il touchait presque du front, les mains dans les poches de son large pantalon à