Page:Grenier - Souvenirs littéraires, 1894.djvu/43

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que la vie a amoncelés sur elle. Mais que de tristesse quand on pense quel orateur, quel poète est enseveli dans ce morne silence ! Pauvre cher grand homme ! pourquoi n’est-il pas mort sous les sabots d’un cheval le jour où nous avons manqué être écrasés tous les deux par un équipage au tournant du pont Royal ; ou plutôt pourquoi n’est-il pas tombé sous les balles des factieux en 1848 ? Il serait resté une des plus grandes figures de l’histoire. Quelle que soit sa fin, l’avenir lui gardera toujours sa place au premier rang parmi les plus beaux génies de notre âge.

Cette taciturnité mystérieuse ne fit que s’accroître jusqu’à sa mort. Quels étaient les rêves, les images, les souvenirs qui hantaient durant ces longues heures muettes cette tête naguère si belle et si puissante, et maintenant affaissée ? Nul ne le sait. Ce silence avait, du reste, sa grandeur. Un soir, Mlle  Valentine s’était mise à lire à haute voix, devant lui, quelques pages de Jocelyn. Quand elle eut fini et qu’elle leva les yeux sur son oncle, quelle ne fut pas sa surprise et son émotion : la figure du poète était inondée des larmes qu’il avait versées en silence à la lecture de ses vers. D’où pouvaient venir ces larmes ? Était-ce le regret de ses dons évanouis, l’évocation de sa jeunesse et de sa force désormais épuisées ? C’est un secret qui est resté entre lui et Dieu. Mais quel tableau touchant !

Les dernières paroles que j’entendis de cette bouche jadis si éloquente furent des mots chers aux poètes. J’étais venu prendre congé de lui en