Page:Grenier - Souvenirs littéraires, 1894.djvu/42

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En partant, l’on m’avait dit : « Au revoir, à Paris » ; et naturellement l’hiver suivant, après cette visite, je fus plus assidu et encore mieux accueilli au chalet. Je retrouvai Lamartine affaibli et plus silencieux. Ce silence qui m’avait déjà frappé à Saint-Point et cette répugnance à parler, que j’avais mise alors sur le compte de la maladie, s’étaient encore aggravés. Était-ce parti pris, lassitude ou affaiblissement des organes ? Qui le dira ? Voici ce que j’écrivais à mon frère à la date du mois de mars 1868. Qu’on me permette cette citation ; ces quelques lignes rendent bien mon impression d’alors, mon attendrissement et mon culte :

J’ai vu souvent M. de Lamartine, cet hiver. J’y vais par piété, une piété attendrie ; il faut savoir être fidèle. Cela m’est facile, d’ailleurs : j’ai toujours eu le culte des ruines, et, hélas ! ce n’est plus qu’une ruine désormais. Au lieu de parler avec une abondance souvent amère de sa situation et de revenir toujours sur ses affaires, comme il y a deux ans, il a pris maintenant l’attitude du silence, – ou plutôt le silence s’est établi de lui-même dans cette belle intelligence, comme il se fait dans toutes les solitudes et parmi les débris des temples abandonnés. Il vous accueille, vous reconnaît, vous le prouve par un geste, plus rarement par un mot, vous écoute, suit la conversation sans rien dire et ne témoigne l’intérêt qu’il y prend que par un rire franc et intelligent. Il rit toujours juste, comme je le disais hier soir à Ollivier et à Dupont-White en sortant du chalet. Évidemment, ce noble et rare esprit est encore là ; il est seulement à l’état latent, ce n’est qu’une éclipse. Son intelligence, comme ces feux endormis sous la cendre, ne fait que sommeiller sous le poids des années et l’amas de douleurs, de calomnies et de gloire