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Page:Grotius - Le Droit de la guerre et de la paix, tome premier, trad. Pradier-Fodéré, 1867.djvu/166

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3. Il faut remarquer, pour l’intelligence du droit naturel, qu’il y a certaines choses qu’on attribue à ce droit d’une manière impropre, mais — suivant l’expression


    indépendamment de la volonté de Dieu… Il ne s’agit point ici de disputer si, en faisant abstraction de toute volonté d’un être intelligent, et même de la volonté de Dieu, notre esprit ne peut pas découvrir les idées et les relations d’où se déduisent toutes les règles du droit naturel et de la morale. On doit convenir de bonne foi que ces règles sont effectivement fondées sur la nature même des choses ; qu’elles sont conformes à l’ordre que l’on conçoit qui est nécessaire pour la beauté de l’univers… Mais de cela seul il ne s’ensuit pas que l’on soit proprement obligé à faire ou ne pas faire telle ou telle chose. La convenance ou disconvenance, que l’on peut appeler moralité naturelle des actions, est bien une raison qui peut porter à agir ou à ne point agir, mais ce n’est pas une raison qui impose une nécessité indispensable, telle que l’emporte l’idée de l’obligation. Cette nécessité ne peut venir que d’un supérieur, c’est-à-dire d’un être intelligent hors de nous, qui ait le pouvoir de gêner notre liberté et de nous prescrire des règles de conduite… De tout cela je conclus que les maximes de la raison, quelque conformes qu’elles soient à la nature des choses, à la constitution de notre être, ne sont nullement obligatoires, jusqu’à ce que cette même raison nous ait découvert l’auteur de l’existence et de la nature des choses, lequel par sa volonté donne force de loi à ces maximes, et nous impose une nécessité indispensable de nous y conformer, en vertu du droit qu’il a de gêner notre liberté comme il le juge à propos, et de prescrire telles bornes que bon lui semble aux facultés qu’il nous a données. Il est vrai que Dieu ne peut rien ordonner de contraire aux idées de convenance ou de disconvenance que la raison nous fait voir dans certaines actions ; mais cela n’empêche pas que l’obligation de se régler sur ces idées ne vienne uniquement de sa volonté… »


    « Nous répondons à tout ce raisonnement, dit avec justesse Vattel, que les hommes seraient obligés à l’observation des lois naturelles, même en faisant abstraction de la volonté de Dieu, parce qu’elles sont louables et utiles ; mais que cette volonté ajoute, sans contredit, un très-grand poids à cette obligation ; qu’elle en est un fondement très-légitime et très-solide, bien que ce fondement ne soit pas un principe primitif, puisqu’il dérive lui-même d’un autre dont il tire sa force, je veux dire de notre utilité. Le savant commentateur de Grotius ne sera-t-il pas obligé d’en convenir, et n’avouera-t-il pas que sa note est inutile contre un pareil système ?… Ce n’est point déroger à l’autorité de Dieu, que de dire que tout ce qu’il nous prescrit dans les lois naturelles est si beau, et si utile par lui-même, que nous serions obligés de le pratiquer, quand même