Page:Groulx - L'appel de la race, 1923.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
L’APPEL DE LA RACE

pour l’accueillir ? Son père et sa mère décédés pendant ses études universitaires à Montréal, il ne lui restait plus, à la maison paternelle, que des frères et des sœurs. Le changement de son nom, son mariage avec une anglaise, l’éducation toute anglaise donnée à ses enfants, sa fortune rapide et considérable, sa pitié pour ceux de sa race, tout l’avait séparé de sa famille.

— Quelle réception là-bas me fera-t-on ? se demandait-il, non sans inquiétude. Il éprouvait une gêne bien naturelle à reparaître au milieu des siens, après une absence si longue qu’elle ressemblait à un oubli. Un jour pourtant, n’en pouvant plus de son malaise, il se résolut à prendre le train et, un soir de juin 1915, une voiture le déposait à la maison blanche de la deuxième terre des Chenaux, à Saint-Michel de Vaudreuil. C’est de là qu’il avait écrit son billet au Père Fabien. Et le Père avait hâte de revoir le pèlerin de la petite patrie, d’entendre le récit de son voyage, et, qui sait ? d’apprendre peut-être où il en était de son évolution spirituelle.

À cinq heures et demie quelqu’un frappa à la cellule du religieux. M. Jules de Lantagnac entra. Grand, avec une tête fine, sculpturale, une tenue impeccable d’où émanait une élégance naturelle, l’homme n’était pas loin de la distinction parfaite. Rien de la raideur, des mouvements anguleux du fils de terrien ne subsistait en lui. Il semblait qu’après plus d’un siècle et demi, le grand ancêtre, le beau lieutenant du roi du temps de la Nouvelle-France, se fût réincarné