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mes mémoires

— Il me faut combler le vide de vingt conférences publiques. Nous ne pouvons laisser nos gens sans quelque aliment intellectuel. M. Chartier va nous faire dix conférences sur la littérature ; et vous, M. Groulx, vous allez me faire dix conférences sur l’histoire du Canada.

Je me récrie :

— Dix conférences d’histoire ! Pardonnez, Monseigneur, mais je m’en sens tout à fait incapable. Le peu de connaissance que j’ai du métier m’oblige forcément à me récuser. Je puis vous faire cinq conférences.

— Très bien, vous m’en ferez cinq.

Et, soulevant les feuillets d’un calendrier, l’Archevêque met le doigt sur une date et me dit :

— Vous ferez votre première conférence le 3 novembre. Et j’irai la présider.

Et voilà comment, au Canada français de 1915, on devenait professeur d’histoire canadienne dans une université du Québec. Encore une fois néanmoins, je ne me dispense point de l’observer, la Providence a bien travaillé. Le « petit vicaire » de Saint-Jean-Baptiste n’eut pas à chercher longtemps l’emploi de sa vie. En un tournemain, le cours de ma petite existence s’est précisé, arrêté, avec une rapidité que j’ose à peine croire. Comment l’Archevêque en était-il venu à l’idée de ce cours d’histoire du Canada ? L’abbé Émile Chartier serait celui qui aurait soufflé la chose, m’a-t-il écrit un jour. Possible. Mais je ne puis, non plus, ne pas relier la décision de l’Archevêque au petit incident de 1913 que j’ai déjà raconté. Ce jour-là, on s’en souvient, l’Archevêque m’avait confessé son ignorance de l’histoire de son pays et avait donné raison à Bourassa sur le fond de la controverse.

Ai-je tort de penser que, dès lors, le projet d’un cours d’histoire du Canada à l’Université s’est logé dans l’esprit de l’Archevêque et que, l’occasion aussitôt offerte, il y donnait suite ? Confierai-je cependant, qu’au premier moment, la proposition de l’Archevêque me laisse interdit, sinon effrayé ? Il me suffit de quelques instants de réflexion pour mesurer la terrible tâche que