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deuxième volume 1915-1920

conduit infailliblement à des catastrophes d’ordre moral, politique ou social. Et de même, autre leçon qui a son importance : l’histoire nous aura appris, et bien avant Valéry, que les civilisations sont mortelles, mais qu’elles ne meurent pas de la même mort ni après une égale durée. Encore que pour aucune la résistance ne soit illimitée, l’expérience historique nous a révélé qu’elles ne sauraient excéder ou exagérer dans l’un et l’autre de leurs éléments essentiels, matériel et même spirituel, sans être tôt frappées de caducité. Grains de sable qui bloquent la machine. Mais en revanche, tout équilibre reconquis peut opérer le redressement d’une civilisation. Autrement dit, les civilisations au moins pour un temps seraient guérissables. Pour les peuples petits et jeunes, quelle leçon plus opportune d’optimisme !

Méditations, ou, si l’on veut un mot moins sévère, jongleries auxquelles n’ont pas résisté les plus grands de la confrérie des historiens. L’austère Fustel de Coulanges ne s’y est pas dérobé dans ses Leçons à l’impératrice qui fleurent, à tant de pages, une intention patriotique mal voilée. Camille Jullian, sa monumentale Histoire de la Gaule terminée, prononce, au Collège de France, ses leçons en trois volumes : Au seuil de notre Histoire, où trouvent place des chapitres sur la « Valeur morale de l’Histoire » et sur les « Forces éternelles de la Gaule ». Dans A Study of History, Arnold J. Toynbee reprend les idées maîtresses de son œuvre et ne cesse de ratiociner sur les civilisations et leurs rencontres. Dans les derniers temps de sa vie, René Grousset écrit ces maîtres volumes que sont Bilan de l’Histoire et L’Homme et son histoire, dont les titres parlent d’eux-mêmes. Et qui se plaindrait de pareilles œuvres ? Par son métier, l’historien a chance, plus que bien d’autres, de prendre, du passé des hommes, une perspective de plus large envergure. Pourquoi lui refuser le droit de réfléchir ? Ils ne sont pas si nombreux ceux qui peuvent indiquer les « câbles de haute tension » où se trouve accrochée la destinée du monde.

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Je me suis peut-être écarté de mon sujet. On me croira loin du presbytère du Mile End. Il n’en est rien. J’y reviens. Combien de fois mes amis et quelques autres — je n’ai pas eu que des amis — ont cru discerner, dans mes écrits et dans mes discours, l’influence du fameux presbytère. Rien ne serait plus faux assurément que