Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
premier volume 1878-1915

absolu, d’un affreux isolement. Pauvre arbrisseau transplanté en terre étrangère, au milieu d’autres dont il ne sait ni l’essence ni l’histoire. Dans mon petit roman, Au Cap Blomidon, j’ai décrit les terribles effets des mirages de l’ennui. Effets qui étaient pour moi choses vécues. Donc, en ce mois de septembre 1891, des lettres arrosées de larmes affluaient à la maison des Chenaux. On finit par s’y alarmer. En vain mes professeurs s’employaient à me consoler. N’y tenant plus, ma mère entreprit le grand voyage à Sainte-Thérèse. Elle m’arriva le 11 octobre, date que je n’ai jamais oubliée. De son mieux, elle me remonta ; je parus consolé, résigné. Le lendemain matin, avant de partir, elle risqua une dernière visite au collège pour me réconforter une dernière fois. Ma pauvre maman posait là un geste bien téméraire. Avais-je prémédité ce plan ? Ou fut-ce, de ma part, geste spontané ? D’un bond je sautai dans l’omnibus qui partait pour la gare. Tout éplorée, ma maman ne savait que faire. Heureusement deux prêtres du Séminaire, qui revenaient de l’église, passaient près de nous. Elle les appela à son aide. Prestement ces deux messieurs descendirent de la voiture le marmot en pleurs et le ramenèrent à sa classe dont l’heure était sonnée. Ai-je, ce jour-là, joué mon avenir ? Je ne le crois pas. À la vérité je ne voulais pour rien au monde quitter le collège, abandonner mes études. Tout au plus, souhaitais-je aller revoir mon chez-moi, persuadé, en mon esprit d’enfant, qu’un court voyage me guérirait, me délivrerait de l’ensorcellement qui me tenait envoûté. Psychologie qui n’était peut-être pas si méprisable. Cette année-là, une épidémie de grippe, grippe bienfaisante, passablement provoquée et entretenue par les élèves, força les autorités du Collège à nous envoyer chez nous, en janvier, pour une huitaine. Je revins content de mon séjour en ma famille et parfaitement débarrassé de ces images irréelles dont nous obsède ce grand peintre et magicien qu’est l’ennui. Mais le choc avait été dur, la séparation trop brusque, trop complète. Il en resta, dans ma sensibilité, une blessure qui, j’en ai peur, ne s’est jamais complètement refermée. Toujours, à chacune de mes rentrées au collège et ce, jusqu’à la fin de mes études, je connaîtrai les mêmes crises d’ennui. Et combien souvent, pendant l’année scolaire, me reviendra l’image obsédante du foyer. En mon premier Cahier de notes de lectures, aux pages 45 et 46, je retrouve ces lignes écrites en mon année de Versification, à la date du 11 mai 1895 :