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mes mémoires

les coins. J’étais le premier à quitter le foyer. N’importe, je tins bon. Je me gardai les yeux secs ; je fis mon petit homme et sautai lestement dans la voiture. À la gare, mon père me confiait à un élève finissant de Sainte-Thérèse, Aldéric Robillard, futur avocat et futur juge. Ce co-paroissien se chargeait de me conduire au Séminaire. Or, arrivés à Montréal, ce grand collégien me conduisit à l’ancienne gare Dalhousie et, ne désirant pas s’embarrasser d’un galopin dans ses courses à travers la ville, me laissa seul, dans la gare déserte, après m’avoir fait la recommandation bien superflue de n’en pas sortir. « Ce soir, m’annonça-t-il, un autre viendra te prendre pour te mettre dans le train de Sainte-Thérèse. » C’était le matin. Je me mis à compter les heures. Qu’elles me parurent longues, interminables ! Que faire pour les raccourcir ? Je me risquais bien au bord du trottoir. J’écoutais la rumeur de la vaste fourmilière, les mugissements du monstre. Mais je n’osais m’aventurer plus loin, tant il me semblait que de terribles sortilèges, pires que l’herbe écartante, auraient pu me happer. Je pensai à mon chez-moi. L’image d’une maison chérie, loin, bien loin là-bas, me passa devant les yeux. Quelque chose me mordit au cœur : l’ennui, le terrible ennui. Hélas, le petit homme vint sur le point de s’effondrer. De nouveau, il lui fallut s’armer de tout son courage pour attendre patiemment le train du soir. Enfin, l’heure arriva. Depuis quelque temps, je l’avais observé : la gare s’emplissait de jeunes gens qui se saluaient, riaient fort, se donnaient de faux airs de joie. L’un d’eux, un grand, se dirigea vers moi. Il me reconnut, sans doute, à cet air spécifique, fait d’ingéniosité et de gaucherie, qui caractérisait alors ceux que, dans les collèges, on appelait « les nouveaux » ou « les navets ». — « Vous êtes le petit Un tel ? Aldéric Robillard m’a chargé de vous conduire à Sainte-Thérèse ; suivez-moi. » Je sus plus tard que ce grand, un rhétoricien, futur avocat et futur religieux de la Fraternité Sacerdotale, s’appelait Arthur Geoffrion. C’est sous son escorte que j’arrivai à Sainte-Thérèse où, tout de suite, je dus apprendre à me débrouiller seul.

Pourquoi ne pas l’avouer tout de suite ? Pendant les quatre premiers mois, j’ai cru mourir d’ennuyance. Impossible de retrouver ma belle contenance du moment du départ à Vaudreuil. Peu de jours passeront que je ne pleurniche comme une Madeleine. Une impression morbide ne me quitte point : celle d’un