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mes mémoires

reçus en prix au collège. C’est là que le soir, les jours de pluie, les après-midi des dimanches, je me réfugie pour lire ou écrire. Je lis en manches de chemise, recevant par la fenêtre, les parfums des champs et la chanson de la rivière sur les galets. Heures délicieuses que je n’aurais échangées pour nul plaisir mondain !

J’entre au Grand Séminaire en septembre 1899. L’on y prenait, dès l’entrée, une leçon de pauvreté : pauvreté sulpicienne d’ancien régime. Nous n’en étions pas encore à l’eau courante, à l’éclairage électrique. Chacun avait sa petite lampe et son bidon de pétrole. Chacun possédait aussi son balai et avait à pourvoir au ménage de sa cellule. Dans l’état d’esprit où je me trouve alors, rien de ce dénuement n’a de quoi m’effrayer.

Une première impression m’attend toutefois, assez pénible. Je croyais entrer dans une communauté de jeunes gens exemplaires, une élite de jeunes ecclésiastiques préoccupés par-dessus tout de perfection religieuse, rivalisant de zèle dans l’étude de la théologie et dans la formation ascétique. Je sortais d’un petit séminaire d’esprit réformé, où les trois quarts des collégiens pratiquaient la communion quotidienne. Je fus étonné de trouver, à Montréal, une atmosphère morale, spirituelle, bien inférieure à celle de mon collège. Nous étions quelque trois cents séminaristes : pour une moitié venue des milieux canadiens-français ; pour l’autre composée d’Irlandais ou Anglais du Canada et d’Américains. Les allures désinvoltes, indisciplinées de cette seconde moitié produisaient un funeste effet sur nos camarades canadiens-français, trop enclins au mimétisme. Une moyenne d’esprit, de mœurs d’assez modeste niveau, avait fini par s’introduire au Grand Séminaire de Montréal, où subsistait beaucoup trop d’esprit écolier et pas toujours du meilleur. Nos professeurs, pour un bon nombre des Sulpiciens, Français de France, étaient d’admirables hommes de prière et d’oraison. Véritables ascètes que ces bons « Messieurs », professeurs convenables, sans pourtant beaucoup d’influence sur la communauté. Des hommes distants, austères, d’une piété grise qu’on eût dit vidée de toute joie. Des hommes qui vivaient au Canada depuis vingt, trente et quarante ans, mais sans en être. Des professeurs, des directeurs d’âme qui formaient un prêtre abstrait, nullement préparé à son milieu concret, milieu que ces émigrés de France ne connaissaient guère et dont ils ne nous