Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/77

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parlaient jamais. Je n’ai pas oublié cette expression qui leur revenait souvent sur les lèvres : « Dans votre pays, Messieurs… » Dirai-je, en outre, que des traces de jansénisme s’effaçaient lentement du Séminaire sulpicien ? Alors qu’à Sainte-Thérèse je pouvais communier quotidiennement, au Grand Séminaire, il me fallut une permission spéciale. Permission que m’accorda volontiers mon directeur de conscience, l’abbé Labrosse, un Canadien qui passait pour un esprit novateur. Piété grise, ai-je dit tout à l’heure. On mettait l’accent sur la mortification beaucoup plus que sur la pratique de la charité, le libre envol de l’âme dans l’amour divin. Religion trop négative, prêtre inadapté à son milieu : deux déficiences ou deux défauts qui pourraient expliquer les déficiences de la religion canadienne, et d’abord l’insuccès partiel au moins du ministère sacerdotal : prédication négative, ministère inadapté. Un homme corrigeait pourtant, dans une certaine mesure, ces déficiences du Grand Séminaire : le directeur, l’abbé Charles Lecoq. La lecture spirituelle, à sept heures du soir, constituait, pour nous, le grand moment de la journée. J’ai presque envie de l’écrire : c’était tout le Grand Séminaire. Nous voyions alors monter à la tribune de la Salle des Exercices, un petit homme au dos courbé, à la figure rosée, portant, sous le bras, un gros cahier, parfois quelques livres. L’abbé Lecoq ouvrait la bouche. Et nous étions captivés. Charme d’une parole de grand spirituel, doublé d’un grand humaniste. Conférencier disert, d’une éloquence facile, spontanée. Il s’éternisait peut-être sur l’explication du règlement, y employant jusqu’à deux et trois mois. L’on eût désiré un enseignement d’ascétisme plus cohérent, plus ordonné. L’abbé Lecoq vagabondait selon les fêtes du calendrier, selon les circonstances de la vie du Séminaire. L’une des misères ou l’une des pauvretés des clercs de mon temps, ce fut, je le pense bien, d’arriver à la prêtrise, sans une doctrine spirituelle véritablement ordonnée dans leur esprit, à moins de l’avoir acquise par leurs propres moyens. Mais la parole du directeur était chaude, nourrie. Cet homme