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mes mémoires

à Saint-Charles du Corso, entendre un Franciscain, prédicateur de renom. Pour l’élite romaine, Saint-Charles, c’est le lieu le plus couru de la prédication quadragésimale. Un cordon de troupes entoure l’église pleine à craquer. Derrière les troupes, une foule hurlante, malaisément contenue. Le sermon à peine commencé, une émeute éclate. Des vociférations couvrent la voix du prédicateur. En quelques instants les remous de la foule nous projettent hors du temple, mêlés à des émeutiers. Nos chapeaux, nos beaux chapeaux de soie noire, volent en l’air. Nous attrapons des coups. Heureusement quelques jeunes gens de la jeunesse catholique italienne sont là. Ils rendent coup pour coup. Et la police survient à temps pour nous dégager. Elle nous escorte le long d’une ruelle, entre deux haies d’une foule surexcitée, le poing levé, la bouche écumante. Hélas, quand on a vu, une fois, ces pauvres faces d’énergumènes, on ne les oublie plus. L’on sait pour toujours ce que peut être une populace en délire, un jour de « grand soir ».

C’était là un aspect de la Rome de Pie X. Mais il y avait lui, le grand Pape. Et il faisait oublier bien des choses. À chaque audience, à chaque cérémonie à Saint-Pierre, nous étions fortement impressionnés par la physionomie mobile, très changeante du Pontife, le plus souvent d’une expression souffrante. Il portait la tiare comme le Christ a dû porter la couronne d’épines. Je me souviens, en particulier, d’une audience très intime, dont je me trouvai, par quelque attention providentielle. Mgr Louis-Nazaire Bégin, archevêque de Québec, était alors en visite à Rome. Lors de son audience de congé, le paternel archevêque veut bien se faire accompagner de trois étudiants du Collège canadien. Grâce à l’amitié de l’abbé Wilfrid Lebon et de l’abbé Alfred Langlois, je me trouve l’un de ces trois. Donc ce soir-là, l’audience ayant lieu après le dîner, nous sommes au Vatican, dans l’antichambre du Saint-Père. L’audience finie, le Pape, espérons-