Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
128
mes mémoires

Par bonheur, je me hâte de l’ajouter, ces détestables badigeonnages ne parvenaient pas à nous cacher totalement le visage de la France. Il y avait autre chose au vieux pays. Même s’il nous était pénible d’avoir à distinguer entre France et Français, les polissonneries ne nous empêchaient point d’admirer ces insurpassables beautés que sont Notre-Dame, le Louvre, Versailles, les Invalides, l’avenue des Champs-Élysées, l’Arc de Triomphe, tous les charmes sensibles de la grande ville. Une soirée à la Comédie-Française, à l’Odéon, à l’Opéra, passait l’éponge sur nos vifs ressentiments de jeunes hommes. D’ailleurs d’autres séjours en France guérirent en moi bien des blessures. Puis, même en 1907, quelques rencontres, quelques relations trop rares, une nuit de prière et d’adoration passée à Montmartre me révéleront la France qu’au fond de mon âme j’avais appris à aimer. Au surplus, avant de rentrer à Rome, je devais m’arrêter à Lourdes. Là, je pus sentir le pouls d’un pays encore vivant, pays de foi qui me confirma en mes sentiments profonds.

À la fin de mes vacances de 1907, je ne trouve point de compagnons pour descendre vers Rome. L’ami Lebon voyage en Terre sainte. L’abbé Bourgeois n’est pas venu à Paris. Je me mets en route seul. Je visite Tours, Orléans, pleine à déborder du souvenir de Jeanne d’Arc, quelques points de la Loire. Je me suis réservé, ai-je dit, quelques jours pour Lourdes ; Dieu soit béni ! Les quelques jours deviendront trois semaines. Le Lourdes de 1907 est encore un gros bourg, presque un village. J’y déniche une excellente pension de famille : l’Ave Maria. En ces jours du premier automne, le temps est splendide. Le paysage des Pyrénées, du Gave, de la Grotte, m’enivre par son atmosphère mystique. Dans ma malle, j’ai mes livres pour travailler, continuer mes études romaines. Je décide de ne pas hâter ma rentrée à Rome. C’est le moment, du reste, où la ville de la Vierge, comme pour se reposer de l’étouffement des foules, accueille les petits pèlerinages, ceux des pays d’alentour. Entre mes heures de travail quel charme j’éprouve à me mêler aux pèlerins, à les entendre chanter dans leur patois du midi resté vivant, tel le limousin ! Et je vais écouter les prédicateurs venus de ces mêmes pays et m’édifier sur ce qu’on appelle parfois l’accent de France, comme si tel accent se ramenait à un type unique. Je prends part aux