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premier volume 1878-1915

me reviennent. En ce premier séjour de 1907, autant le dire tout de suite, le pays des ancêtres n’a pas réussi à m’emballer. Paris, sans doute, sera pour moi une importante continuation de la découverte du vieux monde avec tout ce qu’elle m’apportait, depuis un an, d’étonnement et de charme. De l’homme, je découvrais un autre visage, d’autres dimensions. La France, je l’aimais depuis longtemps. Je l’aimais parce qu’elle est une « personne », selon le mot de Michelet. Elle représentait à mes yeux, une incarnation de haute culture humaine, le moment d’une incomparable maturité de l’esprit. La France, pourtant, je ne l’ai jamais aimée plus que mon pays. Je ne l’aimais pas dans ses verrues, je ne l’aimais pas dans ses aberrations spirituelles. Je ne l’aimais pas dans sa politique. Précisément en France, nous sommes alors en plein « combisme ». L’expulsion des religieux ne date pas de si loin. Au Canada français, où sont les villes, grandes ou petites, qui n’aient donné asile à ces expulsés ? À Valleyfield, j’ai enseigné aux côtés de quelques-uns de ces religieux dont le patriotisme resté chauvin nous agaçait autant pour le moins qu’il aurait dû nous émouvoir. Dans le Paris de 1907 j’aurai toutes les occasions voulues de goûter à l’anticléricalisme français en plein déchaînement. Je pus aussi me rendre compte que la copie romaine, telle que savourée dans la péninsule, ne trahissait aucunement l’original. La discipline d’alors — je veux dire celle du Collège canadien — nous obligeait, pendant notre séjour au Séminaire d’Issy-les-Moulineaux, au port constant de la soutane. Ce qui voulait dire : pas de visites possibles, dans Paris, sans avoir à subir presque à tous les cent pas, l’insulte, le sifflet des gamins ou des passants, parmi lesquels parfois des messieurs fort bien mis. Les gavroches croassaient à pleine voix, puis couraient toucher du fer pour s’immuniser contre le sortilège des calotins. On nous prenait pour d’authentiques « curés français ». L’on avouera tout de même que, pour nous faire aimer la France et nous attendrir en nos premiers contacts avec l’ancienne mère patrie, la méthode restait discutable ! Sans doute un moyen s’offrait à nous d’éviter l’insulte : nous habiller en clergymen. Mais ma qualité de Français se révoltait à la pensée que, pour nous faire respecter au pays de nos pères et en imposer aux anticléricaux, nous en étions réduits à nous déguiser en pasteurs protestants ou en clergymen anglo-saxons.