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premier volume 1878-1915

de soirs, on m’amène à l’Opéra. J’assiste à la représentation de Faust, d’Ariane : ce qui me donne une nouvelle occasion de regretter ma pauvre éducation musicale. Malgré tout, le spectacle m’éblouit par sa splendeur. Et lorsque, à la Comédie-Française, j’aurai vu jouer La Fille de Roland d’Henri de Bornier et Cinna à l’Odéon, je ne saurai plus quelle estime accorder au peuple qui a su se donner de tels divertissements. Comme aux vacances antécédentes, le Louvre ne cesse de m’attirer par ses collections d’antiquité, mais aussi par ses peintures. Je m’essaie à connaître les grandes écoles. Et puisqu’à tout touriste il faut bien quelques caprices, je m’arrête, je ne sais combien de fois, devant le Lamennais d’Ary Scheffer, figure de sphinx d’une mélancolie aiguë qui me rappelle mes emballements de collégien pour le solitaire de La Chesnaye et pour les merveilleux disciples des belles années du maître. Je me tiens aussi au guet des conférences de salon. Ces conférences, mon ami Lebon excelle à les dénicher avec un flair incomparable. Et c’est ainsi que je puis entendre un jour Melchior de Vogüé, le somptueux Vogüé dont j’avais lu quelques livres, fabricant d’images grandioses, le plus grand peut-être après Chateaubriand. Je garde en ma mémoire, le profil d’un beau vieillard de tête blanche, d’une exceptionnelle distinction, et qui débite son discours avec une négligence tout à fait aristocratique. Il est question d’Orient, de la politique étrangère de la France, avec cette note pessimiste qui vient parfois troubler, au vieux pays, en ces années-là, la douceur trop sereine de vivre.

Un autre souvenir m’est resté de ce deuxième séjour à Paris, celui-ci plutôt pénible. L’année 1908, ai-je besoin de le rappeler, c’est l’année de l’encyclique Pascendi, condamnation retentissante de l’hérésie moderniste. Il faut avoir vécu dans les universités européennes, pour savoir ce que fut, en ce temps-là, l’extraordinaire effervescence des esprits. Indéniablement l’Église traverse l’une de ses pires crises doctrinales. À Rome, les professeurs ne se privent point de dénoncer les audaces de pensée de la nouvelle hérésie. À l’université dominicaine La Minerve, j’ai, pour compagnons d’étude, quelques jeunes abbés français, pensionnaires à la Procure de Saint-Sulpice, voisine du Collège canadien, sur la rue des Quatre-Fontaines. Charmants garçons, pétillants d’esprit, leur aversion pour la scolastique touche véritablement à la pho-