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premier volume 1878-1915

Au Sénat, on appelait volontiers le sénateur du Finistère, l’Amiral Saint Michel. Il n’en rougissait point, en 1900, lors du débat sur les Associations, son collègue Delpech, voulant démontrer les déformations cérébrales que peut effectuer la religion des calotins, crut bien faire de lire à la tribune un discours prononcé par un certain officier de marine, à un congrès catholique de Paris, sur la dévotion de saint Michel. La gaîté, on le devine, secoua tout de suite les vieilles barbes sénatoriales. M. de Lamarzelle voulut monter à la tribune ; M. de Cuverville s’y opposa, il y fut lui-même. « Messieurs, dit-il brièvement et très ému, ce n’est pas mon habitude de rougir de mes actes. C’est moi qui ai prononcé ce discours ; j’en revendique l’honneur et vous n’avez pas le droit de me le reprocher. Il n’y a pas de honte à reprendre les traditions qui ont fait l’âme de nos pères et l’âme de la France… Ma foi, c’est ce que j’ai de plus cher et de plus sacré. Pendant cinquante ans de vie périlleuse et pénible, c’est elle, elle seule qui m’a soutenu au service de mon pays, je ne reconnais à personne le droit d’y porter atteinte. »

On n’applaudit point ; mais du rire on passa au silence respectueux. Et depuis cet incident, me disait le courageux « Amiral Saint Michel », tous ces messieurs sont pour moi d’une déférence, oh ! mais d’une déférence… !

On écrira sans doute l’histoire de ce noble catholique de vieille roche. Et nous le disons en toute confiance, il faudra alors le placer dans nos admirations, tout près du général de Sonis et de l’amiral Courbet. J’allais visiter tout près de Crec’h Bleiz, un vieux seigneur terrien, M. le comte Pierre des Jars de Kéranroué, ancien zouave pontifical et qui fut à Rome l’instructeur de nos pioupious canadiens. Le vieux zouave venait toujours me reconduire longuement sur la route ; et quand je le priais de ne pas se fatiguer : « Laissez, M. l’abbé, disait-il, il me fera du bien d’apercevoir ce Crec’h Bleiz où prie et travaille un saint. » Botrel, à Ti-Chansonniou de Port-Blanc, regardait aussi, de temps à autre du côté de Crec’h Bleiz tout proche, et il me disait lui aussi : « Vous êtes un heureux, M. l’abbé ; vous vivez là avec le saint laïque de la noblesse de France. »

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