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mes mémoires

bune. Cette déambulation stimule sans doute son esprit, l’aide à parfaire, à clarifier ses idées. Elle favorise aussi le ton oratoire, j’ai presque envie de dire, tribunitien de ses cours. Il parle sans notes, avec un rare brio. Volontiers agressif, il ne s’épargne pas le malin plaisir de heurter les idées reçues. Il innove, brave les préjugés, marche sur la corde roide, côtoie, non sans quelque volontaire témérité, les abords du modernisme. En 1908-1909, c’est jeu dangereux. Mais quelle vie le professeur y dépense ! Et quoi aussi de plus passionnant que de suivre les remous de l’auditoire ! Ces conférences hebdomadaires ont pour effet invariable de soulever des controverses, des orages. Il faut entendre, à la sortie, les réflexions amusées des uns, les protestations des autres, voir les haussements d’épaules : laïcs, ecclésiastiques, jeunes et vieux religieux. Certains jours, ce serait à se croire aux plus troublantes époques des anciennes universités, alors que, pour une simple distinction ou opinion en scolastique, des bandes d’étudiants en venaient aux coups. Curieux de connaître de plus près ce singulier mais vivant esprit, je m’inscris à son séminaire de philosophie. Dès la première réunion, il me colle un travail : préparation d’un résumé critique des « Données immédiates de la conscience de Bergson ». Travail ardu qui permet au modeste docteur en philosophie de La Minerve de sonder, en son esprit, un certain vide abyssal.

Pierre-Maurice Masson (1879-1916)

C’est néanmoins à la Faculté des Lettres que je rencontrai celui de mes professeurs que j’ai le plus admiré : Pierre-Maurice Masson. Vrai type d’intellectuel français. Jeune celui-là aussi, et grand, beau, de tenue distinguée, de visage ouvert, clair, de l’esprit plein les yeux. Il sort de l’École normale supérieure de Paris. Il donne ses cours avec la plus élégante facilité, sans se priver d’un mordant de fine ironie, excellemment faite pour retenir l’attention, séduire ses auditeurs. Aussi bien quels cours prenants que les siens ! Cours neufs, personnels, affranchis des clichés des maîtres, des manuels, cours menés à la française, et d’un professeur qui s’insurge — dès lors — contre l’histoire ou la critique