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premier volume 1878-1915

rale médicale — se plaît à disserter de problèmes de philosophie et de théologie. Ma convalescence marche rondement. Je suis soigné par de très bonnes petites religieuses de Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours. Le Vendredi saint, je me lève pour faire mes premiers pas, me transporter à un divan tout proche. La petite Sœur infirmière, attachée à mon service, et qui fait de son mieux pour m’entretenir le moral, lève mon rideau et me fait espérer pour Pâques prochain, une sortie sur le balcon de ma chambre. Déjà, à travers la fenêtre, le printemps fribourgeois prodigue ses feux ensorcelants. Mais, au moment de regagner mon lit, crac ! Une douleur aiguë à la jambe droite. On me recouche. La fièvre me ressaisit. Le médecin accourt et déclare une phlébite. Adieu, ma sortie de Pâques, au beau et clair soleil de la Suisse ! Adieu mon retour prochain à l’Université ! Et c’est quinze jours de fièvre, avec des hauts et des bas, et la jambe immobilisée sur un plan incliné. Pour me distraire, ma dévouée infirmière a beau installer dans ma chambre un gramophone qui me redit les plus beaux airs de folklore cantonal, je garde désespérément une mine de carême. Rien n’y fait, pas même une visite inopinée des Botrel, venus chanter à Fribourg et qui, ayant appris mon séjour à la clinique du boulevard Pérolles, viennent, lui et madame, me porter leurs sympathies. Non, pas même ce bonheur, et pas même le gracieux bouquet de fleurs qu’ils me laissent, bouquet enroulé d’un large ruban tricolore offert la veille au soir à Madame Botrel, rien de tout cela ne m’arrache à mon abattement. Un jour, mes deux amis canadiens, incapables d’attendre plus longtemps, viennent me faire leurs adieux. Je reste seul. La fièvre finit par me quitter. Mais il me faut réchapper ma pauvre jambe devenue aussi roide qu’un tuyau de fer. J’en serai réduit à marcher avec une canne. Pendant longtemps je ne pourrai dire ma messe qu’avec des simulacres de génuflexion. Le pire, c’est que mon opération a causé d’effroyables ravages en mes finances. Au reste, ma santé fort ébranlée ne me laisse plus d’autre choix que de rentrer moi-même au pays. Adieu le doctorat ! Adieu Fribourg où j’aurai pourtant vécu l’une des années les plus heureuses et les plus fécondes de ma vie !

Pour tromper l’ennui, pendant ces semaines d’hospitalisation, j’ai tenté de lire et d’écrire. Dans une de mes heures d’abattement,