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mes mémoires

maison blanche des Chenaux. Mon frère et ma sœur avec qui je bavarde ne s’aperçoivent pas, qu’à certains moments, les mots me restent dans la gorge. L’on est à la mi-été. Je me sens en parfait accord avec le paysage du soir, la sérénité des champs et de l’eau. Il y a de ces heures rares dans la vie, heures d’euphorie où l’on se demande ce qui peut bien manquer au bonheur éprouvé. Je rentre chez moi, appuyé sur une canne, boitassant légèrement. Il me faut raconter mon aventure de la clinique de Fribourg, aventure que j’ai soigneusement cachée aux miens. Mais je parais si heureux qu’on me plaint à peine. Ma mère ne porte pas à terre. Pendant mon absence, des vides se sont creusés au foyer. Deux de mes sœurs, les jumelles, se sont mariées. Point de deuil heureusement. Je fais le tour de la maison, je me rends au jardin ; je vais contempler la baie du haut de la véranda. Je n’ai plus qu’à renouer avec mon enfance, avec ma jeunesse. Un flot neuf, flot de vie ardente et jeune me monte au cœur.