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XVIII

AU CANADA — PÉRIODE DE 1909 À 1915

Courte période de six ans que celle qui s’en vient. L’une des plus marquantes en ma vie. Me voici à un point tournant. À la distance de près d’un demi-siècle, j’aperçois tout un nœud de circonstances, liées sans doute par la bonne Providence, mais aussi par mes gestes aveugles et qui allaient décider de mon sort pour jusqu’à la fin de ma vie.

Jusque-là je n’ai rien rêvé d’autre qu’une carrière de professeur et d’éducateur-prêtre, dans un collège. Perspective, ai-je déjà dit, qui, à la fin de mes études de collégien, est entrée comme un des motifs déterminants de mon option pour le sacerdoce. Nulle vie sacerdotale ne me paraissait au-dessus de celle-là. Nulle part, me semblait-il, le prêtre n’avait loisir de se donner à une œuvre plus rayonnante, plus féconde. Plus heureux que le prêtre de paroisse, enfermé dans son petit coin de pays, ne se livrant que médiocrement à la culture des âmes, et souvent impuissant à faire mieux, le prêtre de collège, fidèle à la grâce de son sacerdoce, et conscient de son rôle, pouvait, plus que personne, accomplir cette œuvre éminente qu’est la formation de l’homme et du chrétien. Préparer l’élite des chefs de la nation, peupler les grands séminaires, les noviciats des communautés religieuses, et ce, dans un petit pays qui a besoin plus que tout autre de son élite, quelle œuvre plus ample et plus solide que celle-là ! Former un seul apôtre, disais-je parfois à mes plus grands, lancer dans la vie l’un de ces hommes merveilleux qui, à son tour, ne manquera pas de susciter une légion d’agissants pareils à lui, où