Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
180
mes mémoires

Je me souviens en particulier de ce petit collégien de treize à quatorze ans qui, mis en garde contre la crise de puberté, me demande anxieusement — c’était à son quart d’heure de direction :

— Y a-t-il des moyens infaillibles de ne pas succomber ?

— Eh oui ! Ceux que je viens de vous indiquer : l’usage des sacrements de Pénitence et d’Eucharistie, l’observance courageuse du règlement collégial par esprit de sacrifice, de mortification, une dévotion filiale à la Sainte Vierge et à l’Ange gardien.

Il m’écoute à demi convaincu. J’attrape un bout de papier :

— Êtes-vous courageux ?

— Un peu ce me semble.

Je lui griffonne cette petite prière à la Vierge et je la lui tends. Il lit :

— « Ô ma mère, faites-moi mourir plutôt que de jamais permettre que j’offense votre Divin Fils par un seul péché mortel d’impureté. »

Je devine un moment de peur. L’engagement saisit mon petit bonhomme.

— Oh ! lui dis-je, rien de si terrible. De deux choses l’une : ou la Sainte Vierge va vous préserver sans vous faire mourir, ou, plutôt que de vous laisser tomber, elle vous fera mourir pour vous emporter au Paradis. Que faites-vous ?

— J’emporte la prière.

Le lendemain, il entre chez moi, la prière à la main :

— J’y ai changé quelque chose.

— Ah ! la lâcheté a pris le dessus.

— Peut-être que non. J’ai supprimé un mot : le dernier.

Et cet enfant de me dire avec le plus tranquille courage et je ne sais quel feu dans le regard :