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mes mémoires

portance d’une graduation continue dans le choix des lectures, jusqu’au jour où le collégien ne craindra point de se colleter avec les maîtres, avec les grands et beaux livres qui font appel à toutes les forces de l’esprit. Ici encore l’expérience me donnerait raison. Au Collège de Valleyfield, collège encore jeune, la bibliothèque collégiale restait à désirer. Aidé encore de mon ami, Antonio Hébert, nous entreprîmes tous deux d’employer nos petites économies à combler cette lacune. Chacun organisa sa bibliothèque, de façon à pouvoir satisfaire la fringale de lecture des plus jeunes comme des plus âgés de nos élèves. Beaucoup de mes livres sont encore là, livres déhanchés, maculés, qui attestent par combien de mains ils sont passés. Combien d’autres se sont égarés en route et ne me sont jamais revenus ! Gagnés par notre propagande et par nos exhortations sur la nécessité de la lecture, les jeunes de la Croisade qui ont déjà répandu des évangiles, entreprennent de faciliter à leurs camarades la lecture des chefs-d’œuvre. Ils font venir les collections en petit format de Hachette, de Hatier, de quelques autres, les vendent au prix coûtant. Et, alors, au Collège de Valleyfield, à une époque où, pour leurs mouvements collectifs, les écoliers devaient se former en rang, l’on eût vu nombre de collégiens, mettant à profit ces quelques minutes de déambulation silencieuse, se plonger le nez dans une tragédie de Corneille, de Racine, une comédie de Molière ou un autre chef-d’œuvre.

Pendant que j’y étais, j’ai jeté un autre coup d’œil sur ma bibliothèque aux rayons qui portaient inscrits, en ce temps-là, Éducation, Lettres, Biographies. Combien y ai-je encore aperçu de volumes usagés, fatigués ! Ils m’ont rappelé un autre article de notre méthode d’éducation : la lecture de livres ou d’ouvrages que nous disions de formation morale. Entendons par là la lecture de biographies de grands hommes, de grands chrétiens, lecture aussi de leurs correspondances ou de quelques-unes de leurs œuvres. Sans négliger les maîtres en littérature ou en histoire, lectures parallèles aux travaux de classe, nous conseillions fortement à nos collégiens d’intercaler ici et là, de temps à autre, entre ces livres complémentaires, la lecture de ces autres livres où l’on s’approche d’une autre espèce de maîtres. Est-il besoin d’insister sur la bienfaisance de telles lectures ? Quelle tête bien faite