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premier volume 1878-1915

pourrait pratiquer assidûment la compagnie des grandes âmes, sans leur prendre quelque chose, sinon beaucoup, je veux dire, sans se forger à soi-même tout un réseau d’idées, de sentiments élevés ? En même temps, quoi de plus propre à corriger la médiocrité trop fréquente du milieu ou de l’entourage ! D’autant que l’histoire, œuvre de condensation inévitable où les plus grandes vies sont ramassées en quelques pages, ne peut qu’opérer avec puissance sur l’esprit, par ses synthèses, ses raccourcis de beauté morale qu’elle offre.

Je m’allonge. Je me laisse prendre un peu trop peut-être au souvenir d’une époque où, encore jeunes, nous avions l’impression de pétrir de la pâte si vivante. L’homme des champs range, parmi ses meilleures joies, le spectacle de la poussée du grain semé par lui. Il se laisse aller à l’illusion d’avoir créé de la vie. Combien plus pleine et plus haute la joie de l’éducateur qui assiste à l’épanouissement d’un jeune esprit et qui, en toute humilité, croit y voir sa récompense de bon ouvrier ! Ainsi pensaient et travaillaient, autrefois, quelques jeunes prêtres qui ne croyaient pas faire mieux que les autres, mais qui, à leur tâche, je puis le dire en franche loyauté, se donnaient avec toute leur âme.

Une Académie de classe dont je possède encore les procès-verbaux sert à compléter mon enseignement. Une fois la semaine, la classe se transforme en Académie. À tour de rôle, l’un ou l’autre de mes rhétoriciens monte à la tribune et s’y exerce dans le rôle de maître. Il apprend à faire, de son propre fonds, un exposé de principes de littérature, d’histoire littéraire, ou une explication de textes. Il affronte questions et objections de ses camarades. Le professeur, il s’y emploie du reste pour toute récitation, impose de s’exprimer en bonne langue. Et ainsi, on apprend à lire, à exprimer des idées. Quelques récitations de textes appropriés à cette fin permettent d’apprendre à dire. Ah ! vraiment la classe, contact direct, collaboration active avec l’élève, peut être un merveilleux instrument dans la formation de l’esprit ! La pratique, par exemple, à la fin de chaque cours, d’accorder cinq minutes de forum, d’inviter ces petits écoliers à présenter leurs objections, leurs difficultés, quoi de plus fécond pour le professeur qui veut prendre le pouls des esprits, se renseigner soi-même sur la valeur de son enseignement et de ses méthodes !