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premier volume 1878-1915

jeunes hommes avait-elle pu résister à tant d’oppositions ? En appuyant son action, sa vie, sur deux forces : un catholicisme vivant et la recherche intellectuelle. C’était du nouveau, chez nous, ou du moins, nous le croyions, qu’une jeunesse professant loyalement, activement sa foi, y cherchant le fondement de la rénovation individuelle et collective, et n’espérant même d’avenir, pour la nation, ainsi que je leur disais, qu’ « en ce maximum de valeur religieuse qui fait associer les hommes aux collaborations providentielles ». C’était aussi du nouveau, du moins en ces années-là, qu’une jeunesse se préparant scrupuleusement à l’action par l’étude. Qu’était-ce, en effet, que l’ACJC, à ce point de vue, sinon et selon la formule que j’en avais donnée : « un syndicat de cercles d’études » ? Et non pas une étude d’esthètes ou d’esprits spéculatifs, mais une étude qui voulait être génératrice d’activité extérieure. Vérité de fait que déjà démontrait abondamment la jeune histoire de l’Association par sa façon d’aborder les plus urgents de nos problèmes. Sur ce, je ne me dispensais pas d’exhorter la jeunesse à s’accrocher toujours plus fortement aux bases de toute action féconde et durable. Et je lui recommandais particulièrement l’action intellectuelle : « C’est l’idée seule qui est en éternelle possession de conduire le monde », lui rappelais-je avec Platon.

Mais l’avouerai-je ? Je ne relis pas ma conclusion sans réfléchir amèrement sur le dangereux métier de prophète et sur les hasards de l’histoire, toujours exposée aux caprices de l’homme, et toujours en danger d’en être infléchie. Je croyais pouvoir promettre l’avenir à cette génération.

Ceux qui viennent, écrivais-je, n’auront qu’à le vouloir, pour devenir les maîtres de demain… Bientôt, ajoutais-je, l’on ne pourra plus se cacher l’émiettement de toutes les forces, l’abaissement de la morale individuelle et sociale, l’anarchisme révolutionnaire en sourd travail dans le monde des prolétaires. Les partis politiques apparaîtront de plus en plus comme le règne de l’accident et de l’incohérence. On finira par trouver inquiétant que, dans un pays comme le nôtre, la direction des affaires publiques, à la ferme lumière des principes chrétiens, ne passe plus que pour le fait d’idéologues établis dans l’absolu. En face de tous ces périls, l’on devra bien s’avouer la parfaite insuffisance des organisations existantes. Et alors, ce sera votre