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premier volume 1878-1915

exemple vécu, et pas sur un seul point du pays, mais sur plusieurs, démontrerait aux sceptiques qu’il n’est pas illusoire d’appeler des adolescents aux plus hautes formes de la vie chrétienne, mais que, bien au contraire, avec l’aide de Dieu, les cimes, mêmes celles de l’apostolat, ont, pour ces âmes généreuses, quelque chose de fascinant, d’irrésistible. Une Croisade d’adolescents — je le confesse sans fausse honte — a été écrit trop vite, et je le crains, dans une période de surmenage. Livre d’un style discutable que je n’eusse pas toléré chez mes collégiens. Aussi bien n’ai-je eu de cesse que je ne l’aie refondu dans une seconde édition en 1938. Je me demande encore par quel hasard ou quelle déformation temporaire, j’ai pu bâtir ce premier de mes livres en cette sorte de langue. Quand je relis mes articles de la Revue ecclésiastique de Valleyfield, articles de 1905, sur la « Préparation [de la jeunesse] au rôle social », mon discours au Premier Congrès de la Langue française, ma communication au Congrès de l’Enseignement secondaire sur la Composition française, etc., je me rends compte que je pouvais tremper ma plume dans une autre encre. Aurai-je voulu trop écrire pour des adolescents, tenté de les saisir par ce mauvais coloris de ferblanterie ?… Un critique de l’époque, Edmond Léo, note, en effet, c’est dans Le Devoir, je pense : « L’auteur a l’enthousiasme jaillissant, la verve poétique. Écrivant pour les jeunes, il veut entraîner au bien et pousser vers les hauteurs avec la flamme communicatrice. » L’extraordinaire est qu’en dépit de ces graves défauts, le succès d’Une Croisade d’adolescents ait dépassé toutes mes espérances. Le livre va se porter de soi-même, par la juvénile et prenante histoire enclose en ses pages. Je relis quelques articles de critique conservés en un spicilège. Un quelqu’un qui, dans La Vérité du 16 novembre 1912, signe : Ambroise, m’y reproche, comme il convient, ma prose de poète : « La prose de M. Groulx est ailée. Peut-être même est-elle trop portée aux coups d’ailes dans l’azur, vers les étoiles… » Mais on concède que l’intérêt du livre « ne languit pas », qu’il « va plutôt crescendo », « cela tient d’abord au fond même des événements ». « C’est un tour de force, écrit le même critique, de soutenir l’intérêt tout le long de 264 pages, en compagnie d’élèves, de leurs idées, de leurs projets, de leurs succès ou revers, de leurs écrits — de leurs écrits surtout, lesquels d’ordinaire (ailleurs) sont si faibles de pensée et de style. » L’ab-