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mes mémoires

mon président d’Académie, Herménégilde Julien. Je lui fais part de la venue de l’évêque. Et sans aller plus outre, je lui dis : « Dès votre petit boniment d’ouverture, après avoir exposé le pourquoi de cet hommage à Veuillot, vous lirez tel passage du Bref de Pie X adressé à François Veuillot. » Bref qui a été publié, autant que je me souviens, aux premières pages du quatrième volume de la Vie de Louis Veuillot, par Eugène et François Veuillot. Le Bref n’est rien d’autre qu’un éloge sans réserve du journaliste catholique. On y lit des passages comme ceux-ci : « À l’exemple des deux Papes qui Nous ont précédé sur ce Siège apostolique, et principalement de Pie IX… il Nous est agréable de rendre témoignage à ce grand homme de bien, défenseur irréductible des droits de Dieu et de l’Église… L’ensemble de sa carrière illustre est digne d’être présenté comme modèle à ceux qui luttent pour l’Église et les causes saintes… » Les travaux de mes académiciens, ai-je besoin de le dire, ne contenaient rien d’irrespectueux pour les personnages d’Église. On avait glissé prudemment sur certaines controverses du fameux polémiste. À la fin de la soirée, le président de l’Académie invite comme il se doit, Mgr Émard, à prendre la parole. L’évêque a la parole facile. Et il ne perd jamais occasion de parler à ses collégiens. J’avais remarqué toutefois, pendant la soirée, son air soucieux, sa nervosité : l’air d’un homme agacé. Il se lève. Visiblement le Bref de Pie X l’a embarrassé. En avait-il eu connaissance ? Il ne trouve à dire que ces paroles : « Mes enfants, je reviendrai vous parler de Veuillot. » Il ne revint jamais. Ce qui ne l’empêcha point, en s’en retournant à l’évêché, me raconta le lendemain un confrère, de s’élever avec colère contre ces blancs-becs de collégiens qui osaient faire la leçon aux évêques. Lorsque je lui portai mon manuscrit d’Une Croisade d’adolescents et sollicitai l’imprimatur, je pus lire sur sa figure un trop manifeste agacement. Pendant des semaines je n’entendis parler de mon manuscrit. Ce n’est qu’à force d’instances, presque de guerre lasse, qu’enfin je pus obtenir l’imprimatur désiré. Et je n’ai pas oublié les propos qu’il me tint le jour où il me l’accorda, paroles qui reflétaient l’une de ses grandes