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mes mémoires

de l’inculpé à l’évêque, retour également rapide, rétractation piteuse du jeune homme. Aujourd’hui que ces petits événements me reviennent et que je les examine avec sérénité, je ne suis pas sûr d’avoir fait, ce jour-là, ce que je devais faire. N’eût-il pas été plus sage, plus sacerdotal, d’endurer cette nouvelle « charge » comme tant d’autres ? D’autre part, m’a-t-il paru dans le temps, je devais cette justification aux jeunes gens, aux séminaristes, aux prêtres qui m’honoraient de leur confiance. Je le devais à l’œuvre qu’ensemble nous essayions d’accomplir. Le pauvre homme, du reste, que j’avais frappé, allait devenir plus tard, et peut-être aurai-je l’occasion de le dire, l’un de mes bons amis. Son incartade, il tiendra à la réparer avec une méritoire humilité. Petits événements d’un trop petit milieu. Chez nos amis où l’incident va transpirer, on ne manquera point de se réjouir. Mon supérieur exulte. Il croit la coterie effondrée pour jamais. Je n’en crois rien et je lui dis : « Non, M. le Supérieur, on va se tenir davantage sur ses gardes. En haut, on n’entretiendra contre votre humble serviteur que plus de préventions. »

Je ne me trompe guère. Et ici, comme j’en ai assez de ces ragots, je me refuse à dire de quelle façon on me fera voir combien « mon coup de tête » avait alarmé certains personnages. La situation, plus que gâtée, est devenue intenable.

Je songe à quitter le Collège

Pour comble, je viens de perdre mon meilleur ami et mon plus solide appui. Usé par un travail immodéré et par les chagrins que lui apporte notre drôle de vie à Valleyfield, l’abbé Antonio Hébert se voit forcé de quitter le Collège. Il accepte une cure. Déjà l’abbé Delphis Nepveu, préfet des études et professeur de philosophie, a posé le même geste, profondément dégoûté. Il est parti pour la cure de Saint-Anicet, à l’un des bouts du diocèse, « exilé aux Bermudes », comme il dit. D’autres départs s’annoncent parmi les prêtres, parmi les séminaristes, parmi même les collégiens, fatigués de se faire brimer pour le partage d’idées qu’ils croient saines et légitimes. Moi-même, au prin-