Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/238

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
230
mes mémoires

à Port-Royal, à la baie Sainte-Marie, enfin remontée vers Saint-Jean, Nouveau-Brunswick. On me pardonnera de ne point raconter tout au long ce voyage. Je voudrais m’en tenir aux étapes qui nous ont laissé nos plus fortes émotions.

Le dimanche 15 août, fête nationale des Acadiens, nous trouve à Moncton. En cette ville, les pauvres dispersés viennent enfin d’obtenir une paroisse nationale. Pour affirmer cette victoire et donner plus de solennité à ce 15 août, ils ont décidé d’organiser, pour la première fois, un défilé à travers Moncton, défilé qui nous conduira à une manifestation publique, quelques pas en dehors de la ville. Plus de cinq cents enfants, habillés de blanc, s’alignent, chacun portant à la main le drapeau de l’Acadie. Le long du parcours, devant l’exhibition de cette force jusque-là ignorée, il faut voir l’ébahissement des Anglo-Canadiens. On se dirige vers une estrade dressée sur un monticule. Là auront lieu les discours. Jour splendide. Pour se mettre de la fête, le ciel s’est paré d’un magnifique soleil. Les deux voyageurs sont invités à parler. Nous l’avons fait l’un et l’autre très émus : acte d’espérance en cette Acadie, alors à la première aube de sa renaissance, appel à tous les groupes français pour un épaulement fraternel, promesse d’appui de la vieille province de Québec. Si je ne me souviens pas très bien de nos discours de ce jour-là, je n’ai pas oublié nos sentiments à tous deux. Je me souviens seulement que le Père Villeneuve parla avec beaucoup de cœur et avec son tact coutumier. Indéniablement le spectacle de cette petite foule prenant conscience, pour la première fois, de sa force et de sa fraternité n’était pas dénué de pathétique. Les grandes émotions flottaient dans l’air. Face à l’estrade, les organisateurs avaient groupé la masse blanche des petits enfants. Les applaudissements soulignaient avec chaleur chacune des phrases quelque peu véhémentes des orateurs. Mais, en même temps, sur un signe invisible, les petits Acadiens dressaient leurs poings et agitaient frénétiquement leurs drapeaux : ce qui n’ajoutait pas peu à l’émotion collective. Je retrouve, dans mon premier spicilège, un seul discours, le mien, prononcé ce jour-là. Le Devoir l’avait publié. Évidemment l’allocution se ressent de quelques incidents douloureux survenus au cours du voyage et que je raconterai tout à l’heure. J’insiste beaucoup, et pour cause, sur la « leçon d’espérance » que nous