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mes mémoires

nous abordions l’histoire acadienne, les victimes du Grand Dérangement ont pris à nos yeux figures de frères héroïques, lamentablement meurtris et spoliés, chassés de leurs foyers comme un troupeau de bêtes par d’ignobles bestiaires. L’Acadie, c’était alors et c’était resté, pour nous, la Pologne du Canada. À son petit peuple et à son infortune eschyléenne, nous avions voué une immense pitié mêlée d’une non moindre admiration. Or, à mesure que progressait notre voyage et que nous avancions au cœur du pays, quels n’étaient pas notre étonnement et notre surprise douloureuse ? Le peuple frère, impossible de nous le cacher, nous était un peuple hostile. Partout, sauf en deux ou trois endroits, sous la cordialité de l’accueil, se dissimulait mal une trop réelle méfiance. Le cœur y était, mais pas entier, et parfois même pas du tout. À Moncton, un soir, le voile se déchira. Les frères Vanier (Guy et Anatole) voyageaient eux-mêmes en Acadie. Ils occupaient, dans l’ACJC, des fonctions de dirigeants. Grande eût été leur joie d’embrigader dans leur association de jeunesse catholique et française, la jeunesse acadienne. Ils ne songeaient pas à une fusion des deux jeunesses. Loin de là. Pour bien respecter le particularisme acadien, ils ne proposaient qu’une union de forme fédéraliste. Et, à cette fin, ils avaient convoqué quelques jeunes de Moncton. Nous étions là. Un refus formel accueillit nos amis de Montréal, et un refus formulé dans les termes les plus catégoriques et les plus déplaisants. Le porte-parole acadien reprocha, en particulier, aux Canadiens français, leur esprit impérialisant, leur ambition de diriger de haut