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mes mémoires

âgé et reconnu pour le plus savant. Le maître était sévère. Gare à l’indiscipline, aux violations du silence ! Mes anciens élèves rapportent que je distribuais généreusement réprimandes et punitions. Je faisais, avec une joyeuse présomption, l’expérience de ma très jeune autorité.

Puisque ces souvenirs d’enfance me reviennent pêle-mêle, je rappellerai encore les nuits d’hiver dans le rabat. Couchés sur nos paillasses sentant la paille fraîche, blottis les uns contre les autres, quel charme troublant, mystérieux, c’était pour nous que d’entendre la tempête hurler dans la cheminée et faire trembloter sur le mur la flamme du poêle. Parfois une ombre passait tout près, à pas feutrés. C’était notre père ou notre mère qui, sans bruit, faisaient leur ronde accoutumée, l’inspection du feu, des tuyaux, de la cheminée, entretenant de leur mieux nos insouciances d’enfant. J’ai parlé de rabat. Le rabat était une sorte de divan tout de bois bâti. Le jour il servait de siège dans la grande pièce de la maison. Le soir il se rabattait, laissait se dérouler d’eux-mêmes paillasse, couvertures, oreillers de nos lits d’enfants. À vrai dire, au long de notre enfance, nous passions par trois lits. D’abord par le ber, placé auprès du lit familial, à portée de main de notre mère. En cas d’éveil ou de larmes du nouveau-né, rien de plus facile que d’imprimer au ber un léger roulement qui chassait nos mauvais rêves et nous replongeait dans le sommeil. Les sauvages apportaient-ils un autre enfant — car, en ce temps-là, les enfants venaient d’Oka — l’arrivant prenait place dans le ber. Et l’occupant du ber émigrait vers ce que nous appelions la cassette, petite couchette de bois, sur hautes pattes, placée encore au pied du lit paternel. Un autre nouveau-né survenait-il — ce qui arrivait assez régulièrement — une double émigration se produisait ; l’occupant de la cassette passait dans le rabat qui pouvait recevoir quatre jeunes hôtes couchés pieds à pieds, et l’occupant du ber passait dans la cassette. Chez nous, il y avait deux rabats, l’un pour les garçons, l’autre pour les petites filles.

Parmi mes souvenirs d’enfant, je rappellerais encore volontiers nos réveils du premier de l’an. Quand j’eus atteint un certain âge, vers mes 7 ou 10 ans, ma mère requérait mes services dans la soirée du 24 ou du 31 décembre. Mes petites sœurs étant encore trop jeunes pour la tâche, c’est à moi qu’elle faisait appel pour