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deuxième volume 1915-1920

M.  l’abbé Antonio Hébert

Nous l’avons reconduit l’autre jour au cimetière de sa paroisse. Ce fut un modeste qui fit beaucoup de bien en faisant peu de bruit.

Il est mort à 40 ans. Au bord de cette tombe prématurément ouverte, et qui se refermait sur une vie active et pourtant si close, on songeait à part soi que l’erreur serait profonde de juger d’une existence par ce qui en paraît au dehors, et que les vies les plus cachées sont quelquefois les plus grandes. Hélas ! notre légèreté et notre insouciance nous empêchent d’y prendre garde : ce sont ces morts anonymes, ce sont leurs travaux, leurs sacrifices ignorés qui alimentent et élèvent la vie intérieure d’une race.

* * *

Il a vécu le meilleur de sa vie dans l’ombre d’un collège, au service de la jeunesse. Il fut de ceux qui apportent à la grande œuvre les hautes qualités qui en rendent digne. Pendant 15 ans il s’écrasa de besogne et de surmenage pour ne point trahir son ministère. Il fut mieux que de son temps, il fut de son moment ; il ne croyait point que la tâche de l’éducateur dût se limiter à la formation du jeune homme abstrait, être cosmopolite et déraciné, impropre aux adaptations du présent. Ses élèves n’ont pas oublié avec quelle verve originale, quelle conviction conquérante, il leur enseigna l’histoire de leur pays. C’est qu’il appartenait à cette génération d’éducateurs qui auront éveillé dans la jeunesse les grandes inquiétudes patriotiques, et par qui nous sortirons peut-être de cette crise de pacifisme obstiné où nous étions en train de dissoudre nos dernières énergies.

De ces élèves il voulut aussi faire des apôtres. Convaincu que plus de lumière impose plus de devoirs, et que Jésus-Christ incarné et rédempteur mérite d’être aimé et servi de toutes nos forces, il n’admettait pas qu’on pût proposer un autre idéal de vie à un jeune homme chrétien de culture classique.

Il possédait plusieurs des vertus qui conquièrent les âmes jeunes. Ancien élève des universités européennes, par son travail de tâcheron, il s’était donné des clartés d’un peu de tout.