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tant en 1915. M. Pierre-Georges Roy en gémit. Un jour que je m’en vais y consulter les Actes de foy et hommages de l’époque seigneuriale, il me fait voir en quel désordre et délaissement sont abandonnées les archives, peut-être les plus riches du Canada. Lorsque mon prédécesseur, me confie-t-il, m’a remis les clefs de ces pièces, il m’a dit tout bonnement : « Voici les clefs de nos Archives ; mais franchement je ne sais rien de ce qui existe là-dedans. » Ce n’est qu’en 1919, comme l’on sait, que paraîtra le premier Rapport de l’Archiviste de la province de Québec.

Toutes ces difficultés dressées en travers de ma route, j’aurai à les résoudre seul. Et voilà ce qui peut expliquer les tâtonnements de mes premières années d’enseignement. Après « Nos luttes constitutionnelles », dont je n’ai abordé qu’une faible partie, je décide de m’orienter vers les événements de 1837-1838. Quels motifs m’ont poussé de ce côté-là ? Selon toute vraisemblance, j’y ai aperçu un sujet d’étude complémentaire, une suite assez naturelle de mes travaux de l’année précédente. J’avoue, en outre, que l’envie, l’ambition de voir clair, en cette période si embrouillée par publicistes et historiens, entra pour beaucoup dans mon choix. S’y est-il mêlé quelque attrait pour le fruit défendu ? La chose n’est pas impossible. Que de fois, au collège, me suis-je senti agacé par certaines attitudes des autorités. Dans nos académies les événements de 1837-1838, c’était le sujet intouchable. Nous pouvions discuter de tout, du déluge et des pharaons, comparer hardiment Napoléon à Charlemagne, peser sans sourciller les cendres de ces grands hommes et de quelques autres. Pour nos maîtres, les « Patriotes de ’37 » entraient dans la catégorie de ces révoltés ou réprouvés dont des jeunes gens de bonne compagnie devaient refuser la fréquentation. Dans l’impitoyable histoire, les « Patriotes » occupaient à jamais ces limbes où sont condamnés, dans nos cimetières, les enfants morts sans baptême. Nul parti pris en cette attitude de nos maîtres. Ils cédaient tout bonnement à une vieille tradition de méfiance, d’autant qu’ils ignoraient cette période de l’histoire canadienne comme à peu près tout le reste. Lors de la préparation de mon petit manuel d’histoi-