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mes mémoires

réal, Le Devoir alerté mène grand bruit autour de l’affaire. Puis mon élection engage un principe : la section française de la Société Royale restera-t-elle autonome ? Liberté lui sera-t-elle laissée d’élire qui lui plaît ? Tard dans la nuit, m’apprend-on le lendemain, on parlemente, on négocie de part et d’autre. Mes amis tiennent bon, luttent contre l’esprit de lâchage ou de compromission des chefs de la section française ; ils stimulent les hésitants, font peur aux faibles. Enfin l’autonomie de la section française sera sauvée. L’heure venue, au milieu d’applaudissements assez peu nourris, j’irai, selon le rite officiel de la réception, recevoir le shake-hand du président général. Et je deviens donc de la loyale Société. Mais je l’ai échappé belle. Et pour quel crime ? Le dossier de M. Scott va me le faire savoir : j’ai osé dire et écrire dans La Confédération canadienne, ses origines — ainsi me l’apprendront des soulignements au crayon rouge — des choses aussi peccamineuses que celles-ci :

Si la pensée de l’avenir fait entrer dans nos poitrines des doutes trop angoissants, c’est que nos raisonnements s’échafaudent comme si nous touchions à de l’immuable. Nous ne tenons aucun compte des futurs de l’histoire et de cet infatigable facteur qui s’appelle le temps. Nos pronostics se déroulent comme si ces grandes choses très humaines, qui s’appellent la République américaine et l’Empire britannique, avaient les promesses de l’éternité.

Comme quoi il y eut un temps, et qui n’est pas si loin, où douter de la pérennité de l’Empire britannique constituait, au Canada, un péché de déloyauté. Et pourtant, depuis ce temps-là…

Retour à la question ontarienne — La soirée du charbon

Depuis le temps de la « neuvième Croisade », la question ontarienne n’a fait que s’aggraver. À Ottawa, siège principal de la résistance, la lutte devient ardente, presque téméraire. On risque le tout pour le tout. Le gouvernement de Toronto se révèle impuissant à mater la Commission des Écoles catholiques. En dépit d’une injonction judiciaire, celle-ci continue d’administrer ses écoles. Toronto — c’est en 1915 — recourt à la suppression de la commission rebelle et y substitue une commission de son