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mes mémoires

de Dollard. Et pourquoi ne le dirais-je pas ? Je vois venir le jour où, au pied de ce monument, pendant que se relèveront toutes les espérances, les jeunes gens du Canada français viendront prêter leur serment à la patrie.

Nous partîmes en auto, une cinquantaine d’amis et de curieux d’histoire. Il faisait un temps superbe, comme il peut s’en trouver quand il y a du soleil en fin de mai. J’ai gardé, dans un de mes albums, une petite photo qui me rappelle ce mémorable après-midi. L’Almanach de la Langue française de 1919 a recueilli tous ces souvenirs. Nous avions gravi le coteau qui domine Carillon, vis-à-vis l’emplacement présumé du fort historique. Un grand arbre nous y fournit l’ombrage voulu. À quelques arpents, l’Outaouais, grossi par les eaux du printemps, roule ses eaux grondantes comme il le faisait, sans doute, il y a deux siècles et demi. Les assistants s’étendent sur l’herbe ; très peu restent debout. J’ai apporté le volume de Faillon qui relate l’exploit. Adossé à l’arbre, face à l’histoire qui de soi-même paraît s’éveiller sous nos yeux avides, j’entreprends de lire, tout d’un trait, sans pause, les quelque vingt pages de l’historien. Graduellement l’émotion me prend à la gorge ; mon petit auditoire, je le sens, n’est pas moins ému. Quand j’ai fini, par l’hommage de Faillon aux glorieux sacrifiés, une longue minute de silence nous enveloppe tous. Personne ne se sent le goût de parler. Sans trop d’effort, il nous semble que des ombres enfin apaisées voltigent au-dessus de nos têtes. Certes, nous ne savons pas grand-chose ou trop peu de chose des mœurs et des mouvements des trépassés. Comme nous avons de la peine toutefois à ne pas les imaginer en voyage, de temps à autre, aux lieux où ces vivants ont un jour vécu. Cette impression, je l’ai fortement ressentie un autre jour de ma vie où je m’étais mis à la recherche de l’endroit précis où mon grand-père et ma grand-mère maternels avaient vécu les dernières années de leur vie. C’était à Saint-Lazare dans le rang Saint-Robert, aujourd’hui presque entièrement dépeuplé. J’y étais allé enfant de neuf ou dix ans, emmené par la grand-mère, pour l’aider à ramasser des mûres qu’elle venait vendre au village de Vaudreuil. Je gardais des souvenirs encore très précis de la petite maison blan-