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deuxième volume 1915-1920

vier 1917, une lettre ouverte de trois pages. Pour ce poète d’un jugement facile, Les Rapaillages sont « un pur chef-d’œuvre ».

J’ai cité à la file ces jugements et témoignages parfois trop élogieux, non pour le plaisir de me servir à moi-même, après tant d’années, des fleurs parfaitement fanées. Mais j’écris des Mémoires. Il sera peut-être bon, pour ceux qui, un jour ou l’autre, s’égareront en ces pages, de savoir ce que furent les courants de pensée d’une époque et quels débats, par exemple, pouvait soulever, en ce temps-là, une œuvre de littérature régionaliste. Les Canadiens français auront mis du temps à retrouver leur âme et à rentrer chez eux comme des fils entrent tout naturellement dans la maison des aïeux, sans la trouver ni trop vieille, ni démodée, ni sentant le moisi.

En dépit de ces dédains de nos grands esprits, le petit livre ne laissa pas d’aller son chemin. Ces succès de vente, je ne l’ignore point, n’avalisent pas la valeur d’une œuvre. Mais ô caprice du goût, ô caprice de l’opinion ! Le petit livre d’inspiration régionaliste brûlera toutes les étapes. Dès le premier tirage, il faut aller jusqu’à 8,000 exemplaires. En 1919, L’Action française lance deux éditions dont l’une de luxe, avec illustrations de l’artiste Franchère, et, pour ce coup, fixe le tirage à 25,000 exemplaires. Louis Dupire écrit dans la revue, à propos de la même œuvre (III : 274-275) :

C’est un événement littéraire d’une haute signification que la popularité extraordinaire de ce petit volume qui se distingue surtout par l’ardeur de son régionalisme, par la ferveur de son culte pour ceux qui ont fait la patrie ce qu’elle est…

La réédition des Rapaillages arrive à son heure, répond à un besoin. Le moment n’est plus où l’on voulait faire des lettres canadiennes une pâle imitation des ouvrages étrangers, une plante anémiée et sans racine… Et c’est parce que Les Rapaillages marquent une réaction contre l’extranéité de notre littérature, parce qu’ils puisent leur inspiration dans le sol, qu’ils plongent « dans l’humus des grands érables morts » qu’un tel succès les a accueillis.