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deuxième volume 1915-1920

dence y pourvoit le plus gracieusement du monde. Au presbytère de Saint-Jean-Baptiste où je loge, de 1915 à 1917 ou presque, j’ai rencontré l’abbé Noël Fauteux, le futur Père Benoît, capucin, ancien de Sainte-Thérèse, avec qui, au temps de la Croisade d’adolescents, j’avais entretenu quelques relations épistolaires. Pour certaines raisons, l’abbé Fauteux désire se déposséder de sa maison de campagne à Saint-Donat de Montcalm. Il m’invite à l’aller voir. Je m’y rends aux vacances de 1917, fin de juillet. Je ne cache pas l’éblouissement que j’éprouve lorsque, après une marche d’un mille à travers un sentier de forêt, je débouche tout à coup au promontoire et à la petite éclaircie où se dresse le « camp » de l’abbé Fauteux. J’arrivais là par un beau soleil d’après-midi qui mettait des étincelles dans les brindilles des épinettes, des sapins et des pins. Puis, ce promontoire qui fonçait dans le lac — le grand lac Archambault — ; puis, à travers le rocher, cette descente en forme d’étroite ruelle où le soleil s’abaissait lentement. Je regardai autour de moi : une maison modeste en planches et madriers, des vérandas, un balcon en bois rude. Mais surtout, je suis frappé, ravi par l’isolement du lieu : une solitude qui sépare de tout aspect, de tout vestige de civilisation, qui oblige à un plongeon, à une claustration, dirai-je, dans la nature sylvestre. Et quelle nature, magnifique, solennelle, par l’ampleur de son lac, — quarante-cinq milles de circonférence, — solennelle par l’altitude de ses montagnes, — quelques-unes des plus hautes cimes des Laurentides, — montagnes encore boisées et dont les crêtes sauvages, restées intouchées, se donnent l’air d’évoquer je ne sais quel passé millénaire. Je me dis : comme il ferait bon travailler, rêver ici ! Une maison au milieu d’arbres, d’une forêt d’arbres ! Ces puissants végétaux, sortis de terre pour psalmodier sous le soleil leurs chants d’orgue, ont toujours exercé sur moi un envoûtement presque sacré. L’abbé Fauteux me cède sa propriété à des conditions on ne peut plus abordables, à ma modeste bourse. Je deviens propriétaire d’un morceau de la terre de chez nous. Joie nouvelle pour moi, joie vive. Tant il est vrai qu’il n’est pas indifférent à l’homme de sentir sous ses pieds un petit carré de sol bien à soi, un morceau de terre devenu fraternel. Un problème me reste à résoudre : comment tenir, faire aller cette maison ? Je n’ai personne, dans ma famille, qui soit libre et qui puisse se charger de la chose. Mes parents gardent encore