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mes mémoires

la direction de leur ferme. Au surplus, il me faut compter avec mes finances de ce temps-là. Tout s’arrange en quelques jours. Précisément vers ce même temps, l’abbé Lucien Pineault, camarade de Grand Séminaire et du Collège canadien, cherche pour sa famille, un lieu de vacances à la campagne. Je lui fais une proposition : « J’achète le camp Fauteux ; j’en reste propriétaire ; je vous y installe et vous m’y acceptez à titre de pensionnaire. » L’abbé et sa famille acceptent. Et c’est ainsi que dès août 1917, je prends possession de ce qui va devenir, en souvenir de Champlain, L’Abitation. Pendant vingt-deux ans, j’irai passer les mois de juillet et d’août en ce coin de Saint-Donat avec une famille qui très tôt est devenue un peu la mienne. Vers 1932, mes vieux parents, ayant fait cession de leurs terres à deux de leurs fils, sont heureux de s’en venir avec moi. La famille Pineault qui s’établit à quelques arpents plus loin, devient mon deuxième voisin. En ces premiers temps, à Saint-Donat, nous étions loin du village et de la plus proche habitation. Vers le nord, personne, si ce n’est presque à un mille et demi. De l’autre côté, vers l’est ou le sud, personne non plus d’habituellement présent, sauf à deux milles, les Pères du Saint-Sacrement et leurs scolastiques. Mais le charme du lieu fait oublier bien des inconvénients. À quelque cinquante pas de la maison, sur une élévation parmi les sapins, se dresse ma petite chapelle. Chaque matin, c’est une joie indéfiniment renouvelée d’y dire la messe, toutes portes ouvertes, et, aux Dominus vobiscum, d’embrasser un paysage de nature vierge où semble flotter l’Esprit de Dieu.

Visiteurs à Saint-Donat

Nous étions isolés et nous ne l’étions pas. Les scolastiques de la Congrégation du Saint-Sacrement ont tôt appris le chemin de L’Abitation. Que de bonnes et joyeuses conversations j’aurai avec ces jeunes gens, enthousiastes, intelligents, passionnés de savoir et de culture ! Encore sous la tutelle de leurs Pères Français de France, mais élèves, pour quelques-uns, de collèges québecois, ils se sentent remués par les courants d’idées qui travaillent les milieux de jeunesse. Ils ambitionnent de se rapprocher de leur