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deuxième volume 1915-1920

pays, de « nos gens », de s’adapter à leur milieu. C’est dire le tour et le ton que peuvent prendre nos longues causeries. Nous abordons tous les thèmes : théologie, philosophie, histoire, littérature, éducation, ascétisme religieux, et voire politique. Presque tous les jours, en route pour une excursion dans les lacs d’en haut, par-delà La Pembina, leurs chaloupes ou canots ne doublent jamais mon promontoire sans chanter l’Ô Canada. C’est le salut de règle au solitaire de L’Abitation. Une fois de plus la Providence m’a fait la grâce de rencontrer une merveilleuse jeunesse. Aujourd’hui ces jeunes scolastiques sont devenus, pour un bon nombre, les chefs de leur communauté. Ils veulent bien me dire, dans nos rares rencontres, le souvenir charmant qu’ils ont gardé de ces jours d’autrefois. Ils ne savent peut-être pas quel réconfort me fut à moi-même le contact de leur ardente et pure jeunesse.

D’autres visiteurs sont venus à L’Abitation. Le plus fidèle, le plus régulier, aura été l’abbé Jean-Marie Phaneuf, mon vieux camarade et ami du Collège de Valleyfield. À Valleyfield, nous avons travaillé et peiné ensemble. Je me suis épris très tôt de ce compagnon d’âme si loyal et si parfaitement sacerdotal. Confident sûr qui m’admettait à ce même rôle envers lui. Pendant quelques années, la distance nous sépara sans affaiblir notre amitié. Puis il arriva qu’il devint curé de Dorion, et quelques années après, curé de Vaudreuil, ma paroisse natale. Pendant de nombreuses années, il sera le chauffeur complaisant qui nous amènera en auto à Saint-Donat. L’abbé raffole de ce coin de villégiature. L’Abitation exerce sur lui une influence magique. Aussitôt arrivé chez moi, ce perpétuel valétudinaire oubliera ses soucis et ses bobos. La nature vierge lui rendra une santé vierge.

Un jour m’arrive à L’Abitation un visiteur destiné à un singulier destin. Il sera un jour mon archevêque : nul autre que Mgr Joseph Charbonneau, alors simple grand vicaire du diocèse