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deuxième volume 1915-1920

Noëlla Émond

Pendant quelque temps, après que je me serai séparé de la famille Pineault, j’emmène avec nous une de mes nièces, Noëlla Émond, enfant de huit ans qui, pendant huit années consécutives, reviendra passer ses vacances à Saint-Donat. Très intelligente, très gaie, elle sera le serin de la maison. Autant que je le puis, je m’occupe à lui développer l’esprit, à la faire lire. Et une fois de plus je constate comme il est relativement facile d’inspirer à une enfant encore jeune, le goût de la lecture et même de la lecture sérieuse. Pendant ses vacances, Noëlla lira une traduction française de L’Iliade et de L’Odyssée. Elle y prendra intérêt et plaisir. Elle raffole des Fables de La Fontaine que je lui lis avec la mimique d’un grand-père. Le soir, quand tous travaux finis, nous nous retrouvions ensemble, je l’entends encore qui me dit, de son ton avide : « Est-ce qu’on lit ce soir ? » En ces soirées de lecture, je lui fais goûter du Molière, du Corneille, Le Cid, Horace, du Racine, Andromaque, et même quelques lettres, parmi les plus pittoresques, de Mme de Sévigné. Pourtant Noëlla n’est qu’une enfant. Pour l’amuser, la distraire, dès notre arrivée, nous capturons un levraut. Au dit levraut, je construis une petite cabane dûment grillagée et baptisée par Noëlla du nom de « Villa de Jeannot ». Et quel plaisir ce sera pour l’enfant de nourrir son lièvre de lait, d’herbes choisies et de fruits sauvages ! L’automne et la fin des vacances venus, le levraut devenu lièvre pourra étaler une mine, un poil soyeux à donner envie à tous ses congénères des Laurentides. Parmi les autres bêtes qui fréquentent les alentours, il y a, semble-t-il, des ours qui, la nuit, rendent visite à notre champ de framboises tout proche ; il y a le putois qui, de temps à autre, nous parfume généreusement ; il y a même le porc-épic. À L’Abitation, au temps de la famille Pineault, on se plaît volontiers à rappeler ce que l’on appelle « la nuit du porc-épic ». Une nuit, un ta-ta-ta sur la véranda : réveil en sursaut. Le ta-ta-ta se déplace d’une porte à l’autre et n’a de cesse. Qui, à pareille heure, en ce plein bois, peut bien ainsi frapper à nos deux portes ? D’en haut, on crie : « Qui est là ? Qui va là ? » Point de réponse. Une nuit